Chapitre 12

Ce que les Anges ont de commun avec les Elfes

Chapitre 11Chapitre 13
I

l n’y a pas plus terrifiant que le vide de l’univers. Quand on y réfléchit, les quelques étoiles qui brûlent et meurent lentement, les quelques cailloux habitables ou non de l’espace ne sont rien dans ce vide. Et si tout cela n’est rien, alors l’Homme, encore plus minuscule, ne peut prétendre malgré lui à une quelconque existence.
Pourtant, l’Homme est la Vie. Pourtant, c’est de ce Vide qu’est née la Vie. Nous sommes tous si petits dans ce vide si vaste, et nous sommes pourtant si importants.
De ce vide dont je suis issu et qui m’a vu naître, que je peux contempler et dans lequel je peux me noyer, je retournerai après mon dernier souffle.

L’abri d’Arthur, en plus du hangar où l’on pourrait stocker six gros véhicules comme le mien, est comparable à une station moyenne des confins : on y trouve plusieurs ateliers, de véritables appartements avec tout le confort, une salle de sport à gravité zéro en plein son centre où nous avons déjà affronté à plusieurs importés une bande de pirates sympathiques dans une partie de A-Ball, et diverses autres petites commodités. Il y a même une piscine à l’eau de mer très salée de LandFall, un vrai plaisir de s’y baigner : il n’y a pas besoin de savoir nager, on flotte sans aucun effort.

Arthur me regarde intensément, un peu comme lorsqu’il prend de ces drogues du monde de Topaz dans le système Facece, et se perd dans la contemplation d’un point quelconque de ce qui l’entoure. Je dois avoir l’air exténué, et je ne pense pas que mes dernières paroles aient pu le détourner de son jugement. Arthur me connaît bien. Ségui aussi. Tous les deux attendent de moi que j’en dise plus, mais je ne n’arrive pas à aborder le sujet. Oh, je sais, je peux leur faire confiance, je les connais depuis si longtemps. Cependant, ce que j’ais à leur dire… je sais pas… vous feriez quoi à ma place ? Je suis là parce que je n’ai pas d’autre endroit pour l’instant où aller, parce qu’il me faut terminer la réparation de mon vaisseau… et… bien que je ne le veuille l’admettre, pour être un peu entouré et ne pas garder pour moi seul le poids qui me pèse : Sab et les Elfes.
Ils représentent un danger, je le sais, et je ne voudrais pas que ce danger s’étende à mes amis… mais… je ne sais pas… j’ai peur maintenant. J’ai peur, plus peur pour Sab et les siens que pour moi-même. Car je suis là, dans ce monde, par hasard. J’aurais dû vivre une vie normale, peut-être me marier, avoir des enfants, travailler toute ma vie dans un monde restreint et ordinaire, et finir en retraite peut-être à voyager ou cultiver mon jardin. Mais non, la vie est un improbable chemin, une route sur laquelle peut survenir à n’importe quel moment un virage à quatre-vingt-dix degrés alors que vous roulez à pleine vitesse tranquillement vers ce qui vous parait être votre avenir, un simple avenir finalement comparé à ce qu’a fait l’Empire de nous, les Importés.
Mais rien ne sert de se plaindre, l’Empire a fait pire en matière de géni génétique en temps de guerre et d’esclavage encore maintenant, et les Feds n’ont pas fait mieux en transformant leurs propres citoyens les plus inutiles en cyborg justes bons à mourir au combat. Ces vieilles querelles entre l’Empire et la Fédération sont loin désormais. Mais ce qui va naître dans ce vide dans lequel a toujours régné l’hypocrisie pourrait s’avérer pire encore. Les Efles… leur destin… et moi, petit être sur les épaules duquel tout cela repose.

Je frotte mon visage de mes mains longuement, puis je soupire. Je vis, n’est-ce pas ? Alors, même si cette petite vie qui me contentait jusqu’à maintenant doit désormais s’orienter différemment, alors il me faut l’accepter. Et si le monde doit s’écrouler autour de moi pour que j’y parvienne, égoïstement je le ferai. Il le faudra.
Mais ce sont mes amis… Je me perds dans mes pensées…

« Parle ! » ordonne Ségui qui me connaît sans doute plus que quiconque dans cet univers.
Vous savez, il n’y a rien de pire que d’affronter le regard d’un ami en qui vous avez confiance et à qui vous ne voulez rien révéler. Mais il n’y a pas mieux qu’un ami pour le comprendre.

Avant de parler, si je le peux, je préfère être assis et accoudé à une table. Arthur comprend toujours ces choses là. Il m’entraîne par le bras vers la cafétéria au bout et à gauche du couloir qui part du sas, Ségui sur nos pas. On a réuni souvent de bonnes bandes d’Importés dans cet endroit là. On y a fait la fête, pour des mariages, des naissances, des anniversaires même si l’on ne sait plus trop quand les fêter, ou juste parce qu’on en avait envie. Je me laisse guider et asseoir sur une chaise devant une table. Les deux autres s’installent en face de moi.
Je soupire encore une fois. Je n’ai pas le droit de les impliquer, mais j’aurai trop de mal à garder l’histoire pour moi, comme je ne peux m’empêcher de vous la raconter. Un poids trop lourd à porter. Trop fatigué. Nerveusement. Fait chier tout ça !

Je prends une longue inspiration… et… j’esquive.
« Elle est où Alissa ? » je demande à Ségui en essayant de reprendre le contrôle de mes émotions.
Le blondinet soupire à son tour. Il me connaît, oui. Il sait qu’il va falloir contourner le problème avant de l’affronter.
Dites-moi, est-ce que je suis si pitoyable que cela ? Vous-vous en foutez n’est-ce pas ? Vous auriez raison, ce n’est que le futur de vos futurs petits petits petits… enfants. What else than you?
« En crise, au bloc, mais ce sera bientôt terminé. Elle est en phase de repos. Elle se réveillera bientôt ! »  Il répond un peu dans le vague.
Il y a quelque chose dans son regard après ses paroles, quelque chose que j’ai déjà vu, une forme de sourire qui illumine son visage et me laisse perplexe. Mais il redevient vite grave.

* * *

Est-ce que vous connaissez Aydaed dans le secteur [6,6] ? Est-ce que vous connaissez New Bagdad ? Le nom officiel de Aydaed 2 est Capitol. Capitol est un nom beaucoup utilisé dans les centaines de systèmes connus et habités, surtout du côté de l’Empire. Ce pourrait être Capital Planet, ce genre de conneries, parce que les colons n’ont pas trop fait d’efforts à l’origine de la découverte des planètes et de l’édification des citées, ou parce qu’il n’y avait pas moyen de mettre tout le monde d’accord.
Il y a deux ports stellaires majeurs sur Capitol : Edwardson Base et Patrick Town. Ces ports et le nom de la planète datent de la colonisation du système il y a un paquet de centaines d’années. Les ports restent en activité principalement pour le commerce mais surtout pour les pèlerinages. C’est de là que débarquent chaque année des centaines de millions de pèlerins croyants, et les deux villes sont remplies de boutiques où on vend tout et n’importe quoi de ce que peut représenter pour eux la Religion. Si vous êtes déjà allés à Lourdes et si vous avez déjà marché dans la rue qui descend vers la cathédrale, vous devez comprendre ce que j’essaye d’évoquer.

Un des continents de Capitol, qui porte également le nom de New Bagdad mais ne possède pas officiellement de port stellaire, abrite ce qui serait comparable de vos jours au Vatican : une enclave exclusivement religieuse, un continent entier dédié au Culte sur une petite planète habitable. Cela vous surprend ? Dans ce monde où l’on ne compte plus les habitants par milliards, il est normal qu’un continent à lui seul puisse réunir tous les religieux qui y officient et les croyants de passages.

Au sud du continent, sur des kilomètres de plages s’étend en haut des falaises les surplombants et sur de grands parcs ce que la Religion a choisi comme… je sais pas… disons simplement le palais du Pape-Imam et toute sa suite ; Je ne sais pas comment on l’appelle faute de m’y être intéressé plus tôt. C’est un endroit merveilleux, et l’architecture des bâtiments qui le compose et qui semble mêler tout ce que toutes religions ont de meilleur s’éclaire admirablement sous les rayons de l’étoile orange de ce système, au lever du soleil et au coucher.

Notre Pape-Imam Alfred-Abdelhafid Ramdani Premier aime d’ailleurs parcourir tôt le matin le parc verdoyant sur lequel donnent ses appartements. Il le traverse pour se rendre jusqu’au bord de la falaise et ainsi regarder le soleil se lever. La mer et le ciel prennent alors une teinte orangé très prononcée, émise par l’étoile, et comme il est habillé d’une robe de la même couleur, il est parfois difficile de le distinguer tellement il se perd dans l’horizon. A quelques dizaines de mètres plus bas viennent mourir les vagues sur une plage de sable fin elle aussi orangée. D’ailleurs, chaque pèlerin repart avec sa petite fiole remplie de ce sable, en souvenir du pèlerinage. Ils en emportent tellement qu’il faut désormais l’importer de toutes les plages du continent. Et si cela ne suffisait pas, si le temps dans son imperturbable langueur ne pouvait ronger toutes les falaises roses orangées de New Bagdad pour les transformer en sable, on saurait le produire artificiellement. On le bénirait et ce serait pareil. Il n’en faut généralement pas plus à un croyant pour s’en satisfaire.
C’est ainsi.

Le Pape-Imam se tient là, debout de bon matin, à observer l’horizon et le soleil qui se lève, mais pour une fois ses pensées et prières ne se perdent pas dans la contemplation de cet instant quasi magique. Non, AAR Premier a d’autres soucis. Au fond de lui se confrontent des sentiments contradictoires pour lesquels il n’a pas encore trouvé manière à les apaiser. Pourtant, il les a pesés, mesurés, et jugés un nombre incalculable de fois, surtout depuis ces quarante dernières années. Mais maintenant que la révélation des Anges et des Elfes à l’univers entier est proche, il devient plus difficile pour lui de se décider.
Je l’ai rencontré une fois, mais peut-être vous l’ais-je déjà dit. Peu importe, ce qui importe c’est la décision qu’il doit prendre. Oh, il n’est pas loin d’y parvenir. Pour lui, toutes créatures vivantes, tout l’Univers, sont issues du bon vouloir et de la main de Dieu. Cependant, les Elfes viennent contredire, ne serait-ce que légèrement, toute l’histoire sur laquelle sont fondées les religions. Il se dit qu’il faudra réfléchir à rénover ce qui a uni la Bible, le Coran, les écrits Bouddhistes et tout le reste… dans ce que les Croyants appellent le « Livre de la Vie » dont l’Hank est incrustée sur la couverture. Ce ne sera pas juste une petite correction… mais cela sera son devoir.

* * *

P « Le déménageur » n’obtient guère plus de renseignements de la Guilde des Marchands. Il a pourtant réussi à se faire inviter dans le building de plus de 600 mètres qu’elle occupe sur Olympus Village. Chaque marchand paye une contribution chaque année terrestre, et ceci suffit à alimenter l’énorme administration qu’abrite l’immeuble en forme de pyramide de verre élancée vers le ciel. P a presque atteint le dernier étage : plus on monte dans cette tour, plus on est proche du haut de la hiérarchie, et plus on est susceptible de connaître certains secrets. C’est comme dans n’importe quelle administration !
P a rencontré le secrétaire du vice-président de la Guilde. Il n’a obtenu que trois choses du petit homme bedonnant dont l’intérêt pour l’argent est supérieur à son attachement envers les siens : un hologramme incomplet de mon vaisseau et un autre de celui des Apôtres, tout aussi incomplet, et la certitude que sa mission n’est pas à prendre à la légère. Il a payé très cher tout cela !

Ce qu’a raconté ce secrétaire à P, c’est qu’un petit marchand indépendant exploite une mine de béryllium dans le système Philaso (secteur [-15,-4]). C’est un système quaternaire où il ne fait pas bon se promener, tellement les quatre étoiles qui l’occupent ne sont pas stables et provoquent des vents et des éruptions solaires à bouleverser tous matériels électroniques. Je dirais que c’est un bon endroit où se cacher, et c’est un peu ce que j’ai tenté de faire dans Olsoex !
Alors qu’il était prêt à repartir sur les lignes commerciales de la Fed, ses soutes remplies, il a vu débarquer 12 vaisseaux non référencés, c’est-à-dire ne possédant pas de balises d’identifications. Cela a éveillé sa curiosité, et lorsque l’un des vaisseaux a quitté le coin, il l’a suivi grâce à son analyseur de sauts TN dix minutes plus tard, le temps de quitter l’orbite de la planète abritant sa mine. Quand on est un marchand comme lui, on s’intéresse toujours à ce qu’il y a d’étrange : si ça peut rapporter de l’argent… mais il est entré dans les confins d’Ioasso peu de temps avant que les Sub-L m’atteignent. Il n’a pas trop réfléchi : ceux qui utilisent des Sub-L sont des fous. Son moteur TN était rechargé lorsque j’ai descendu le premier Apôtre. Toujours aux confins du système et moi tombé dans les pommes, il a de suite replongé dans un autre trou noir pour rejoindre la Fédération. Son ordinateur de bord a pris l’empreinte de mon vaisseau, et cette simple information a coûté des milliers de crédits à P.

P a retrouvé ce marchand dans un bar d’Olympus Village. Il n’a rien obtenu de plus de lui, et ce n’est que le lendemain que l’on a retrouvé son corps inanimé dans un des box des toilettes. P décollait d’Olympus lorsque les bureaux de l’avant avant dernier étage de la tour de la Guilde explosaient. Le secrétaire de son vice-président mourrait dans les flammes, ainsi que beaucoup d’autres fonctionnaires de la Guilde. Faut pas enmerder P, j’espère ne pas avoir à vous le répéter !

* * *

Je m’apprête à révéler à Ségui et Sir Arthur ce que je sais lorsque l’alarme de la station se déclenche :
« Intrusion sur le port – Intrusion sur le port – Menace humanoïde inconnue ! » se fait entendre dans tous les recoins de l’astéroïde la voix féminine métallique de l’ordinateur central de la station (dont je ne me souviens jamais du nom puisque Arthur la change tous les six mois, en plus de l’hologramme de son visage virtuel, comme s’il changeait de petite amie, ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait faux).
Je suis le seul à comprendre ce qu’il se passe, et les deux autres me lancent un regard interrogateur avant de se lever et de courir vers le port d’arrimage.
« NON ! » je hurle pour les retenir.
Ils s’arrêtent dans leur course, et je les rejoints lentement.
« Laissez-moi faire ! ».
Ils me laissent passer devant, et nous pénétrons dans le hangar alors que se font toujours entendre les alertes de l’ordinateur de la station.
« Arthur, fait-la taire s’il te plait ! ».
Il pose sa main à l’entrée du hangar sur la plaque métallique accrochée au mur d’un contrôleur d’identification, et les alertes cessent. Nous nous approchons de l’arrière de mon vaisseau, et je devine déjà ce que nous allons découvrir.
Mes deux amis s’arrêtent derrière moi face à la passerelle d’accès qui s’est dépliée vers le sas de la soute à l’arrière de mon vaisseau. Je demande à Sony de l’ouvrir, et la porte noire s’efface lentement, comme si elle retardait ce que l’on devait y découvrir. Derrière apparaît toute tremblante mon Elfe accroupie contre la seconde porte du sas.

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