Chapitre 4

Ce que les Anges ont de commun avec les Elfes

Chapitre 3Chapitre 5
J

e suis dans un rêve. Je suis en train de planer au dessus d’une forêt qui s’étend à perte de vue. Le ciel est bleu, et à l’horizon il se noie dans cette immensité verte un peu comme le ciel se noie dans l’océan. J’avance doucement, je plane doucement, et le paysage en dessous de moi est presque toujours le même : une forêt dense, quelques clairières d’herbes hautes, des oiseaux qui survolent les arbres, des bruits ou cris d’animaux que je ne reconnais pas. Je plane véritablement, j’ai les bras déployés comme les ailes d’un faucon. Je suis poussé par un courant d’air chaud et cela semble durer indéfiniment. Mais cela ne dure pas indéfiniment ; Je vois au loin d’immenses arbres qui surplombent de très haut toute la forêt. J’en compte à peu près une vingtaine, majestueusement dressés vers le ciel. Au milieu de ceux-ci l’un d’eux se détache par sa hauteur encore plus importante.
« La sève de la vie ».
Une voix douce murmure dans ma tête. J’entends également une mélopée de plusieurs choristes sur des instruments à cordes et à vent.
« L’Arbre » répète la voix, « la source de vie ».
Et d’un coup je suis projeté vers le haut à une vitesse stupéfiante et je quitte l’atmosphère.
« Cherche l’Arbre ».

Je retrouve ma conscience en une inspiration bruyante, puis j’entends le bip habituel de l’électro-encéphalogramme. Je suis dans un hôpital ou dans un centre de survie, mais en ouvrant les yeux je me rend compte que je suis dans mon propre vaisseau, dans mon propre bloc opératoire. Enfin, je veux dire que je reconnais le plafond et l’ambiance que je connais bien.
Le robot médecin approche sa tête de la mienne et me sourit comme un idiot, comme d’habitude, jusqu’aux l’oreilles. Je songe une seconde que je devrais un jour m’occuper de son processeur comportemental et lui donner un air plus sérieux. Avec sa peau synthétique marron tressée de fils très fins et ses yeux lourds j’ai toujours l’impression qu’il a fumé la moquette.

Le doute s’installe en moi. Le bloc opératoire était endommagé et inutilisable après l’attaque. J’aurais dû mourir et je suis encore en vie !
Le robot sent mon besoin de m’exprimer et retire doucement mon masque à oxygène.
« Bonjour Monsieur, comment vous sentez-vous ? » demande-t-il comme toujours en souriant comme un idiot.
Faudra décidément que je fasse quelque chose pour modifier ses attitudes !
Comme d’habitude, j’ai encore du mal à respirer et j’ai la gorge sèche, très sèche. Le robot pose à mes lèvres un gobelet d’eau que je bois doucement, sinon ça fait trop mal. J’ai encore beaucoup de peine à respirer, mais je sais que cela ira bientôt beaucoup mieux.
« Comment… comment je suis arrivé ici ? Le bloc était détruit ! » Je réussis à émettre dans un souffle.
Il prend un air ahuri puis confiant :
« La réparation du bloc opératoire a durée seize heures, trente deux minutes et cinquante quatre secondes ! ».
Je déteste définitivement sa façon de s’exprimer !

Si la réparation du bloc opératoire a duré 16 heures, comment suis-je resté en vie ? Là je ne comprends plus rien !
« Comment suis-je resté en vie ? » je le questionne.
Il prend encore un air ahuri pour me répondre de sa voix calme : « Je ne sais pas ».
Alors là, c’est un comble ! J’aurais dû mourir et cela ne s’est pas produit, et mon robot médecin ne sait pas pourquoi ! Je vie dans un monde de dingues !

Je préfère éluder la question pour le moment et me recoller dans ma pauvre réalité.
« Sony, situation vaisseau, système, position et alertes ? »Je m’adresse à
l’ordinateur de bord, Sony. C’est l’ordinateur central qui contrôle les trois vaisseaux et supervise les robots.
« Vaisseau en cours de réparation, 95%, 3% non réparables Transporteur et chasseur arrimés, états à 100%. Système stellaire inchangé, dérivation de 16.33 degrés X, 23.12 degrés Y et 12.42 degrés Z sur 14.534 kilomètres. Alertes en stand-by, aucune menace » me dit la voix douce et grave que j’ai programmé pour ressembler le plus possible à la dernière personne que j’ai aimé dans mon univers avant d’être entraîné dans celui-ci.

Nous n’avons pas changé de système ! Cela se serait produit si j’avais été le seul être humain, surtout dans l’état comateux où j’ai dû me retrouver à moins d’une panne moteur.
« État du moteur TN ? »
« Moteur TN réparé et disponible. Probabilité de réussite de saut à 99,98% ! » épond-t-elle toujours sur le même ton.

Nous n’avons pas changé de système ! Deux secondes et je me souviens qu’avant de m’évanouir j’ai libéré un des caissons d’hibernation. Cela veut dire que, comme je l’avais espéré, l’être que j’ai sorti du caisson d’hibernation est vivant, ce qui a obligé l’ordinateur et les robots à rester en place plutôt que de rejoindre le premier système proche habité. C’est déjà ça !

Avant de m’occuper de l’invité, par pur égoïsme, je me préoccupe de la durée de mon coma, c’est l’habitude chez les êtres comme moi : 20 heures, 31 minutes, 43 secondes et 7 dixièmes m’indique le médecin ; Deux dixièmes de plus que la dernière fois. Je suis l’un des plus vieux des Importés comme nous nous nommons nous-mêmes. Cela ne veut pas dire que je suis le plus vieux ou que je parais l’être, mais je suis le premier ratage des tentatives temporelles de l’Empire. Je suis donc un de ceux dont les comas lors de mes crises sont les plus longs. Et ceux-ci sont invariablement de plus en plus longs. Certains d’entres nous disent qu’un jour notre vie se résumera alternativement à 24 heures de vie et 24 heures de coma. D’autres pensent qu’arrivé à 24 heures ce sera la mort définitive. A l’époque dans laquelle je suis plongé, 24 heures n’est pas une référence puisque chaque planète habitée a sa propre rotation autour d’elle-même et autour de son soleil. Mais nous conservons cette croyance des jours d’une durée de 24 heures comme un pauvre souvenir qui nous lie à notre ancienne réalité. On croit au moins en quelque chose, ce qui n’est pas le cas de tout le monde ici-bas. M’enfin…

Maintenant, l’invité. Qui est-il, que fait-il, qu’a-t-il fait pendant mon inconscience ?
« Sony, qui est l’homme ou la femme que j’ai sorti de l’hibernation ? Où est cette personne, que fait-elle ? » enchaînai-je.
Un bref moment de silence et le robot médecin qui me fait des yeux ronds. Y’a quelque chose qui ne va pas !
« Identification impossible : données non existantes. L’être n’a pas quitté le hangar, il est retenu par les deux robots gardes numéros un et deux ! ». Énonce Sony d’une voix monocorde derrière laquelle il se cache quelque chose. J’ai pourtant fait de mon mieux pour lui donner un semblant d’humanité.

Je frissonne un instant en songeant qu’il est impossible qu’un être humain ne soit identifiable ! Sony aurait dû me donner son sexe, son âge approximatif, son caractère belliqueux ou amical, enfin tout un tas de trucs !
Le frisson se mue en crainte ! Qu’est-ce que j’ai pu sortir de l’hibernation ? Et pourquoi Sony et les robots n’ont pas entraîné le départ du vaisseau vers le système le plus proche si ce que j’ai sorti n’est pas humain ?
« Euh, c’est quoi ça, identification impossible ? » je demande d’une voix mal assurée.
Le robot médecin me lâche son sourire idiot habituel conçu pour être rassurant, et d’une voix guillerette c’est lui qui me répond comme si cela tombait sous le sens : « forme humanoïde intelligente ! ».

Je manque de m’étouffer et le robot me redonne quelques gorgées d’eau fraîche.
« Sony ! Que fait l’Être ! » Je me force à demander d’une voix ferme. Il faut toujours être ferme avec les robots et les ordinateurs. Ceux-ci ne mentent jamais, mais comme le veulent les lois d’Asimov, ils font l’impossible pour ne pas nous blesser, même s’il ne s’agit que de ne pas blesser notre petit intellect. Sony répond immédiatement :
« l’Être est assis sur le container chargé précédemment, et mange une pomme ! »
Je crois que je déraille !
« Comment ça il mange une pomme ! » je demande sèchement comme si elle se moquait de moi.
« L’Être avait faim ! »

Le DE-LI-RE ! Je ne sais plus quoi penser !

« Sony ! Images ! » J’ordonne presque en criant.

Le robot médecin s’écarte de mon lit et un hologramme écran un peu translucide apparaît à un mètre au dessus de mon visage. La vidéo représente le hangar vu de haut. Le container est au milieu. Devant lui sont figés les robots de garde, les autres attendant près du mur plus loin. Et assise sur le bord du container se trouve une forme humaine aux longs cheveux châtains, croquant d’une main une pomme et balançant ses jambes dans le vide comme un enfant. Cela éveille en moi des souvenirs lointains.

« Gros plan sur l’Être ! »
L’Être occupe maintenant tout l’écran de profil. L’Être n’est habillé que… que d’une espèce de jupe et d’un petit haut couvrant une poitrine féminine, le tout semblant fait de peau. Un couteau dont le manche est nacré est fixé à la hanche. Un arc et des flèches sont posés à ses côtés.
Et l’Être, comme s’il sentait mon regard, se tourne vers la caméra qui l’observe. Je vois un visage aux formes fines, aux oreilles légèrement pointues, un visage au teint clair qui se met à sourire !
Mes pensées de l’ancienne terre me rappellent Tolkien et d’autres vieilles histoires.

En face de moi me sourit un Elfe, une Elfe.

Chapitre 3Chapitre 5

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