Chapitre 3

Ce que les Anges ont de commun avec les Elfes

Chapitre 2Chapitre 4

AU REVOIR ET À JAMAIS

J

e ne sais pas si vous savez, mais si le soleil de notre vieille terre venait à s’éteindre subitement, on ne s’en rendrait compte qu’un peu plus de 8 minutes après. C’est à cause de la vitesse de la lumière. Elle met du temps à nous parvenir, un peu moins de 300 000 kilomètres par seconde. C’est énorme, et aller plus vite cela n’existe pas. Enfin, presque pas.

J’en reviens à l’histoire.

Je hurle à l’ordinateur de bord de stopper les alarmes et de me faire un rapport de la situation : un objet vient de rejoindre Ioaso, c’est un vaisseau de type et de classe inconnue (pourtant j’ai une base de données conséquente), et dés son entrée dans le système il a lancé deux missiles Sub-L. Les missiles Sub-L (sub-luminiques) sont des missiles destructeurs se déplaçant à une vitesse toute proche de la lumière. Ils sont également à tête chercheuse, ce qui est un avantage mais parfois aussi un inconvénient, vous comprendrez pourquoi… J’ai déjà été confronté à l’un d’eux lors de mes divers contrats, mais jamais à deux à la fois.

Les missiles Sub-L sont interdits, autant dans la Fédération que dans l’Empire, et coûtent une somme astronomique au cas où l’on voudrait s’en procurer de manière détournée. La vente d’armes illicites est un commerce comme un autre, et quand on connaît quelques filières il est possible d’en trouver. J’en ai moi-même un à bord de mon vaisseau, ce qui fait de moi un être susceptible de se retrouver au moins deux centaines d’années derrières des barreaux si cela se savait.
Il faut savoir qu’il est pratiquement impossible d’en arrêter deux à la fois. Les contre-mesures existent, j’en ai aussi, mais on ne peut en détruire qu’un si tant est qu’on a un maximum de chance. Et si l’on y parvient, le deuxième missile n’est pas si idiot pour se faire prendre lui aussi.
A cause de leur cinétique, les Sub-L sont capables de traverser tous boucliers. Il faudrait au moins un grand croiseur de la marine de la Fédération pour espérer y résister. L’Empire n’a pas ces moyens là, l’Empire passe plus de temps dans des guerres intestines entres petites baronnies qu’à développer des croiseurs dotés de boucliers qui n’arrêteraient pas ces missiles, mais qui auraient au moins une petite chance de se retrouver avec un gros trou au milieu de la carlingue sans être totalement désintégrés. L’homme n’est pas si idiot, enfin tous les hommes sont pareils à toutes les époques : ils conçoivent des armes, s’en servent une ou deux fois, se rendent compte que celles-ci sont trop destructrices et finissent par les abandonner et en bannir toutes utilisations. Cela n’a jamais empêché certains de développer des trafics parallèles de vente d’armes illicites ; l’histoire est un éternel recommencement.
Bref, le missile Sub-L est une arme interdite, et il faudrait être dingue et vraiment très riche et inconscient (ou alors vraiment vouloir arriver à ses fins et disposer de beaucoup d’argent ainsi qu’une bonne couverture pour ne pas être repéré) pour en utiliser un… et se servir de deux Sub-L est encore pire. Il faut croire que les dingues, cela existe !

Si je vous ai parlé du soleil, de la Terre et de la vitesse de la lumière. C’est pour que vous compreniez que je n’ai que peu de temps avant d’être frappé par les missiles. D’après leur distance et l’ordinateur de bord : quatre minutes. Il est impossible dans un temps pareil de déclencher l’allumage de moteurs à pleine puissance et de s’écarter suffisamment des missiles Sub-L. De toute façon, leur tête chercheuse vous retrouve, sauf… sauf si le changement de votre position est brusque, ce qui est presque impossible à produire et impossible pour eux à calculer, mais pourrait tout de même leur permettre une décélération totale, un nouveau calcul de trajectoire, pouf finir par ne pas vous lâcher.
Si l’on voulait mettre en route un moteur à trou noir, il faudrait là aussi trop de temps pour produire le vortex nécessaire à s’éloigner suffisamment. De toute façon, les Sub-L sont capables de vous suivre dans les trous noirs. Seul un petit saut serait possible, mais les Sub-L vous retrouveraient et vous enverraient dans le néant avant de comprendre ce qu’il vous arrive.

Je réfléchis vite, et j’en oublie presque que je commence à suffoquer. Manquait plus qu’une crise de respiration pour agrémenter la scène.

Pas le temps de rejoindre le central de commande dans mon petit transporteur. Je peux agir du hangar du cargo. Les trois éléments du vaisseau sont indépendants mais je peux les contrôler indépendamment d’une bonne dizaine d’endroits. Le hangar en fait partie.

Je réfléchis vite. Je déclenche la séparation des trois éléments.
Je lance le transporteur dans un petit vortex qui va l’amener à la périphérie du système pour tenter de le planquer dans la deuxième ceinture d’astéroïdes. Cela ne lui prendra pas plus d’une minute, mais il y a peu de chance qu’il ne se retrouve la tête dans un gros bloc de pierre. De toute façon ma cause est déjà perdue, alors autant tenter de sauver le maximum possible.
Je prends mentalement le contrôle du chasseur et je le pointe vers le vaisseau ennemi à pleine vitesse en évitant le champ d’astéroïdes juste à mes côtés et la trajectoire des deux dingues. Il y arrivera. Il a été conçu pour ça.
Je sais que le transporteur et le chasseur ne seront pas les cibles prioritaires des deux Sub-L.

Puis, pour réellement tenter l’impossible, j’enclenche les boucliers du cargo juste après avoir largué deux grosses bombes à destination des astéroïdes à une dizaine de kilomètres de moi, juste là où j’ai récupéré ma cargaison.

Les boucliers du cargo sont presque à bloc et le petit transporteur a juste le temps de plonger dans son vortex lorsque les bombes explosent. Au même moment, je lance les contre-mesures. Les Sub-L sont à quelques secondes, pas loin de trente avant impact.
J’inspire difficilement.
Le bordel que j’ai provoqué avec mes bombes dans les astéroïdes balance dans tous les sens toutes sortes d’éclats de toutes tailles au moment crucial. Ceux-ci viennent percuter les boucliers non encore suffisamment chargés du cargo, suffisamment pour en repousser la plupart. Cela a pour effet d’entraîner l’engin de quelques dizaines de mètres et déclancher tout un tas d’alarmes. J’ai de la chance, cela est aussi suffisant pour permettre à une contre-mesure au moins de brouiller les pistes et de détruire le premier Sub-L, et aux débris d’emmerder le deuxième ; il est trop rapide pour recalculer une bonne trajectoire à travers le souk et venir percuter le cargo. Alors il rase la coque à quelques mètres et se fracasse contre un gros éclat de minerai. C’est gagné.

L’explosion des deux missiles et le souffle généré, en plus de mon bordel dans les astéroïdes, repousse encore le cargo et déclenche encore une pluie d’alarmes de toutes sortes. Les lumières à l’intérieur du hangar s’éteignent, puis des gyrophares s’allument le temps que les systèmes auxiliaires se mettent en route, mais je comprends que j’ai subi beaucoup de dégâts. Les autres, l’ennemi, en face ne doit rien comprendre, et c’est encore dans une inspiration difficile que j’ai encore la force de donner l’ordre au chasseur d’abattre à distance les autres connards. Mon petit chasseur, je vous l’avais dit, est bien particulier. N’étant pas une cible prioritaire et disposant d’une vitesse d’accélération phénoménale (quand je ne suis pas dedans pour me retrouver écrasé comme une crêpe sur mon fauteuil), j’ai pu l’entraîner dans une grande courbe afin qu’il évite mes petits désarrois, et d’être à bonne distance pour faire feu lui aussi. Mon Sub-L qu’il lance ne leur pardonne pas. J’ai juste encore la force de tenir debout quand il percute l’ennemi jusqu’à disparition finale.

Enfin je peux respirer, façon de parler. Mais non, c’est trop difficile. Ma crise respiratoire atteint presque son paroxysme, et l’ordinateur de bord m’indique que le cargo a subit trop de dégâts et que le bloc opératoire est inutilisable. Dans quelques secondes je m’évanouirai. Puis je sombrerai dans le coma. Puis ce sera la mort.
Deux robots me soutiennent. Ils ne peuvent rien pour moi. Cependant, je sais ce qu’ils feront lorsque je ne serais plus conscient : comme ils ont été programmés pour le faire, si aucun être humain n’est éveillé dans le vaisseau pour leur donner des ordres, ils répareront la carlingue et les éléments de propulsion et l’entraîneront vers le système solaire habité le plus proche. Je ne veux pas de ça, je n’ai pas rempli mon contrat et je ne laisserais pas ce qui m’appartient être livré à quelqu’un d’autre.

Au fait, dans l’histoire de cet univers, je ne vous ai pas précisé que l’expansion de l’homme à travers l’espace n’avait jamais révélé une quelconque intelligence extraterrestre, et sur des planètes habitables aucune espèce plus douée que nos dauphins, nos baleines, ou nos singes Bonobo.
Si je ne veux pas que les robots prennent la décision d’emmener le vaisseau vers un système habitable faute d’être humain à qui obéir dans le coin, il me reste une chance : sortir de l’hibernation une des personnes des caissons de la cargaison que j’ai récupéré, et prier pour que celle-ci sache quoi faire.
Je prends un dernier souffle trop difficile, je réussis à ordonner d’une voix ferme à mes robots de me lâcher, et je m’écroule au sol, rampant en suffoquant jusqu’au premier caisson. J’arrive à peine à me dresser sur mes bras pour m’appuyer contre lui et nettoyer le panneau de commande du givre qui le recouvre d’un geste las. Au dessus du bouton de libération du processus d’hibernation, je distingue trois lettres avant de le presser et de m’évanouir : S.A.B.

Chapitre 2Chapitre 4

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