Chapitre 15

Ce que les Anges ont de commun avec les Elfes

Chapitre 14L'A.V.C.

ET L’ELFE

Regardes-moi. Fixes-moi dans les yeux et dis-moi que RIEN DE PIRE NE VA NOUS ARRIVER.

Un jour, une vie.
Un jour, un pays.
Un jour, un monde.
Un jour, un système habité.
Un jour, et toutes croyances ancestrales implosent.
A moins que quelque chose de nouveau nous permette de nous disperser. Ainsi vint la conquête de l’espace…
Ainsi libéra-t-elle l’homme de la Question.

I

l n’y a peut-être que moi, les importés, ou vous, pour comprendre. Peut-être que les gens d’ici sont trop loin de notre bonne vieille Terre. Peut-être que les étoiles les ont ouverts à un univers si vaste qu’il leur est impossible de revenir sur le passé, sur eux, s’intéresser ou chercher à comprendre qui ils sont, d’où ils viennent… Il reste bien quelques heures d’enseignements données à chaque enfant, tout au moins sur Terre et dans les systèmes proches du cœur de la fédération, il reste bien quelques écrits parcourus rarement, il reste bien quelques traces dans des musées ou des bibliothèques, électroniques ou non… il reste peu de personnes qui se soucient du Pourquoi.

Le Comment, il a été écrit à notre époque, et 1400 ans plus tard on n’a pas cherché plus loin, on n’a pas trouvé plus de réponses. On a seulement comblé certains vides, mais finalement, on en est resté au même point.
Le Pourquoi, personne n’y a répondu. Il faut croire que cette question restera pour toujours sans réponse. A moins que… Cependant, je ne sais pas si connaître la réponse serait utile à quoi que ce soit. Quand bien même on apprendrait Pourquoi l’Homme, je ne sais ce que l’on en ferait. Regardez vous devant un miroir, ne vous demandez pas pourquoi vous, petite personne égoïste, existez. Mais demandez-vous pourquoi l’Homme existe. Pourquoi est-il devenu l’espèce intelligente dominante.

Mis à part des philosophes, personne n’a réellement tenté de donner une réponse. Quelques uns cherchent encore… mais ils se font rares. La philosophie n’est pas une science beaucoup pratiquée, si toutefois on peut la qualifier de science à cette époque. Et qui s’intéresse aux philosophes ? Déjà, on ne cerne pas grand-chose de leur esprit torturé… Aujourd’hui, ils ne sont pas ou plus considérés du tout. Dans l’Empire, ils amusent quelques fois le Roi, dans le reste de l’univers ils sont des gens à part, seuls ou entres eux, à étudier dans des bibliothèques ou tergiverser éternellement dans des salons à chercher des réponses à des questions qui n’intéressent plus personne, à rédiger des mémoires et des comptes rendus de réflexions qui n’ont d’importance que pour eux.

Que reste-t-il ? La Religion ? Sa seule réponse a toujours été la Génèse, l’Heptaméron, Adam et Eve, et leur malheureux petit malentendu : une pomme et un serpent. On n’ira pas loin avec ça, même si cela a suffit à conduire des millions d’hommes à penser que la réponse se trouve du côté de Dieu(x), dans un paradis illusoire dont personne n’est jamais revenu.

Vous savez, je crois que l’on ne cherche à comprendre d’où vient notre monde que lorsqu’on l’a exploré dans les moindres recoins. Ainsi, si vous aviez l’occasion et la chance de voyager beaucoup, de rencontrer toutes les sociétés, tous les peuples, toutes les coutumes, toutes les tribus perdues, et que vous sachiez tout ou presque d’elles, peut-être seulement commenceriez-vous à vous intéresser à vous, réellement, à ce que vous êtes, et pourquoi vous êtes, et peut-être seulement pourriez-vous trouver un début de réponse. Quelques uns de nos grands explorateurs ont tenté de le faire, mais ils ont quitté ce monde avec leurs réflexions inachevées. Aujourd’hui, à votre époque ou à la mienne, est-ce qu’un seul d’entre nous peut répondre à la question : pourquoi nous ? Pourquoi l’Homme ?

C’est un peu ce que je me demande allongé sur mon canapé, dans le salon de mon vaisseau, avec en fond sonore de la musique classique d’un compositeur connu de vous, moins du reste du monde, extrait d’un cristal à mémoire qui contient tout ce qui a été créé dans ce domaine à travers le temps. Dites-vous qu’à mon époque, on pourrait imprimer dans un cristal pas plus gros que mon pouce tout ce que vous savez de votre univers, et songez combien cela peut être… enivrant, et effrayant à la fois : vous êtes sur un pont, au dessus du vide, et le vide est toute la connaissance. Elle est tellement immense que votre propre savoir n’est rien, rien qu’un vide que vous venez combler, parce que vous faites inévitablement partie de cette connaissance. La première fois, on plonge dans ce vide remplit avec comme seul moteur la curiosité… et on est de suite absorbé. Ensuite on s’habitue, on sait que l’on ne sait pas tout, et que le cristal est la seule matière qui peut combler notre manque de savoir.
Ce genre de cristal pourrait vous donner des milliers d’heures d’écoutes, de lectures, de vidéos, de découvertes. Seul étendu sur mon canapé les bras joints derrière la tête, seul Bach suffit pour le moment. Et un des panneaux d’un mur devenu transparent me montrant la danse des étoiles me fait approcher encore une fois ce vide : un monde sans fin, qui est tout, qui contient tout, et qui n’est pas prêt d’arrêter sa propre expansion. Bach a eu l’art d’exprimer les étoiles sans les connaître, et il y a bien maintenant que les importés pour l’apprécier à sa juste valeur. Si l’on y réfléchit bien, on pourra penser qu’il y a encore tant d’univers pour l’homme à découvrir que les cristaux eux même ne seront pas suffisants à tous les enregistrer. Toute l’histoire que je vous raconte ne se déroule que dans notre galaxie… Et des galaxies, il y en a encore un paquet à visiter, à explorer, et aucun homme n’a encore fait le pas qu’il fallait. Tout ne se réduit qu’à notre capacité à explorer le monde, et si l’on regarde le monde de haut, de loin, une chose est certaine : il nous faudra encore du temps.

Mais cela ne donne toujours pas la réponse à la Question.

Alors, forcément, je ne suis pas allongé sur un canapé à me demander, égoïstement par rapport à mon statut d’Homme, pourquoi mon peuple existe. J’en rajoute une couche : pourquoi les Elfes, qui sont-ils, pourquoi sont-ils… et y’a-t-il un rapport ?

* * *

Aude est assise recroquevillée sur elle-même sur un petit lit dans une petite cellule dont l’accès vers l’extérieur est bloqué par un champs de force bourdonnant comme un vol de centaines d’abeilles. Il grillerait sur place toute personne désirant le traverser. La pièce n’est composée que d’un lit de métal soudé au sol surplombé d’un matelas dont on ne voudrait connaître l’origine mais qui dégage une odeur suffisante à faire vomir qui que ce soit, d’un lavabo, et de toilettes ne disposant même pas d’un distributeur de papier. Les murs, le sol, le plafond sont faits d’amalgames de gravats de roches hyper contractées, de plomb et de titane, quelque chose de plus dur et plus impénétrable que le béton, et qui ne laisse rien filtrer. Il n’y a pas de lumière dans la cellule. Seuls les plafonniers du couloir derrière les barreaux imaginaires distillent une atmosphère glauque où les ombres semblent s’imposer comme de véritables composant de cet univers restreint.
Ainsi, pour Aude, dans son délire, chaque ombre est un composant de son appartement parisien… autant que sa mémoire malmenée puisse l’aider à se le remémorer. Manifestement, plongée dans une sorte de cauchemar, seul son corps est ici ; Son esprit est ailleurs.

Derrière ses lunettes qui nous donnent un aperçu démesuré de ses yeux bleus, alors que nous vivons à une époque où toute correction de la vue est praticable, Aude semble se noyer dans l’infini. Ses yeux sont fixés sur un point loin en face d’elle, bien au-delà de la cloison qui devrait barrer son regard. Elle erre dans les limbes de souvenirs produits par un cerveau plus proche d’une masse spongieuse inerte que du véritable système compliqué de neurones qui nous habite. Son temps, celui qu’elle perçoit, s’écoule avec une lenteur excessive. Deux de nos jours seraient pour elle quelques secondes. Deux de ses jours seraient pour nous une éternité.
Après tout, il n’y a pas grand-chose dans son esprit laminé par une torture contre laquelle il ne faudrait pas être humain pour résister. Son esprit est vide d’ailleurs, quoi que pas tout à fait. C’est comme si vous vous arrêtiez de fonctionner l’espace d’une minute après une journée de fatigue, et que vous repreniez là où vous en étiez en vous secouant. Mais elle ne se secoue pas encore, et peut être qu’elle ne le peut pas. Elle est encore dans ce pseudo rêve…

Une pièce sombre, rectangulaire. Sur les deux plus grands murs sont exposés des tableaux et tentures qui doivent dater de l’ère post-2000, et même beaucoup plus, au dessus de bibliothèques basses. Ces objets peints, tissés, brodés ou simplement dessinés évoquent des scènes religieuses sans doute récupérées de votre passé.
D’un côté de la pièce, contre le mur le moins large et près de la porte d’entrée, Aude est sanglée sur un fauteuil haut fait de bois naturel, sans fioriture, même pas vernis, et dont toutes les parties sont reliées à angle droit. Ne pas pouvoir s’y habituer en se calant comme il faut et bouger ne serait-ce que de quelques centimètres est déjà une souffrance. Mais en face d’elle, contre l’autre largeur, sur une table elle aussi de bois, elle aussi harnachée est étendue une femme nue, les bras en croix. Aude ne reconnaîtra pas cette personne avant son premier hurlement. Elle n’a pas l’occasion, dans sa position, de distinguer son visage.

Aude y reconnaîtra sa mère, longtemps séparée d’elle, par son propre choix de s’extraire d’une famille sanguinaire qu’elle imaginait petite fille, déjà intéressée à l’histoire de l’humanité, comme un clan proche de celui qui entourait le lointain Robin des Bois. Elle était loin d’imaginer ce que sont réellement les pirates. Sa déception la conduisit à se séparer de cette famille, de ce clan, même si, lorsque l’on connaît le parcours de son père, celui-ci se rapproche plus de l’homme héroïque légendaire que d’un criminel assoiffé de sang et de butins juteux : un paradoxe comme un autre.

A tous les enfants qui ont une mère, à tous ceux qui l’on perdue, à tous ceux qui ont été séparé d’elle très jeunes : ne l’oubliez jamais. A tous ceux qui sont dans l’ignorance de leur existence, faîtes de votre destin sa recherche. Car Aude, si solitaire, si sûr d’elle-même, si indépendante et si femme elle aussi destinée un jour à donner la vie, n’en est pas moins qu’une enfant d’une mère qui lui a donné la vie. Et croyez moi, moi qui ais du quitter mon univers alors que la mienne souffrait et que ma seule présence suffisait à la réconforter… nous n’avons pas plus proche de nous, plus intimement lié à nous, que notre mère.

Le Cardinal « qui n’a pas de nom », cet ignoble personnage attaché à un culte qui aurait du faire de lui un homme bon, saura faire de Aude, en cet instant où elle est sanglée sur un fauteuil fait de bois véritable non vernis, son esclave. Et devant les hurlements de sa propre génitrice, jusqu’à ce qu’elle renonce à ses secrets pour délivrer l’être le plus cher à ses yeux des souffrances… elle devra encore supporter sa fin. Aucune pitié de la part du Cardinal. Un seul geste après qu’il ait obtenu ce qu’il désirait, et ce fut terminé. Dans un bruit sourd, mêlé d’un horrible son provoqué par la rencontre d’une tête contre un sol de vieux pavés de vieilles pierres, tête qui ne rebondit même pas mais alla rouler contre un mur de la pièce, pour révéler un rictus crispé et des yeux grands ouverts de souffrance et d’étonnement. Aude plongea alors dans une léthargie dont rien ne pu l’extraire.

Derrière ses lunettes qui nous donnent un aperçu démesuré de ses yeux bleus, alors que nous vivons à une époque où toute correction de la vue est praticable, Aude semble se noyer dans l’infini. Elle n’en sortira jamais.
Un jour, ce seront les tics nerveux. Un jour, elle commencera à s’arracher méthodiquement les cheveux et à se mordre les lèvres jusqu’au sang. Et un jour, après avoir depuis sa capture refusé de s’alimenter, elle s’éteindra dans une paix que n’offre que la folie. Le Cardinal « qui n’a pas de nom » sourira à son égard, puis traversera le couloir des cellules pour se rendre à la tour de contrôle d’où l’on peut apercevoir l’avancement des travaux presque achevés du Prophète. Son sourire se fera plus large, et c’est avec un sentiment de satisfaction presque sexuel qu’il admirera sa création.

* * *

J’ai laissé Sab et les elfes avec les autres, le temps de prendre un peu de repos et de réfléchir à tout cela. Je vais devoir prendre des décisions, prendre la tête de ce petit groupe qui n’ira qu’en se renforçant, même si je ne le sais pas encore.

Lorsque je les rejoints, ils sont tous dans la cafétéria près du pont d’arrimage. Les elfes sont en grande discussion entres eux, et les trois autres les observent. Il y a de l’effarement dans les yeux d’Arthur. Il y a de l’incompréhension dans ceux de Segui. Alissa-Aline est la seule à maîtriser ce moment.

Sony me prévient par le récepteur intégré dans une de mes oreilles que l’analyse du langage des elfes est en bonne voie. Bientôt, elle pourra me traduire leurs conversations, du moins dans la mesure de ses capacités.

Dès mon entrée dans la salle, le calme s’établit et tout le monde m’observe. Sab, comme à son habitude, court vers moi et me saute dans les bras. Les elfes se regardent entres eux. Les hommes observent la scène avec attention.
Sab se perd dans un débit de paroles qui, j’en ai la certitude, n’échappera pas à Sony même si elle ne pourra en saisir tout le sens. Moi, je comprend seulement qu’elle me considère comme un sauveur, un être capable de la soutenir dans cet univers qu’elle ne connaît pas. Mais je n’ai peut-être pas les épaules pour cela. Je ne les ai certainement pas. Et pourtant, il le faudra.

L’elfe descend de son perchoir, de moi, puis me prend par la main et m’attire vers les autres. Ils sont assis autour d’une table, tous à me regarder m’approcher, les elfes faces aux hommes, Alissa-Aline entre Segui et Arthur. Tout ce petit monde semble soumis à mon autorité. Mais rien n’est clair dans ma tête.

Je m’assoie entre les hommes et les elfes, tirant une chaise de la table derrière nous. Je les observe tous, et tous me regardent. Il me faudrait trois pages et des heures pour vous expliquer ce que je perçois dans leur regard. Je n’en ai malheureusement pas le temps, et sans doute pas les mots qui conviennent. Une seule chose cependant : seule Sab, comme à son habitude encore, me sourit en signe de confiance. Cela me fait chaud au cœur, et c’est cela qui me permet de continuer. Je hoche la tête en direction d’Alissa-Aline qui me paraît présider cette petite réunion. Je savais que je pouvais compter sur elle. D’ailleurs, elle nous fait les présentations.

De la droite vers la gauche : le premier des elfes, qui ne fait pas loin de deux mètres de haut et qui pourrait sans doute m’étrangler d’une seule de ses mains puissantes se nomme « Bahraram ». Vous m’excuserez de la traduction et de l’orthographe imprécise. A l’évocation de son nom, il baisse quelques secondes les yeux et la tête en signe de salut, puis se redresse fièrement. C’est lui qui a failli me tuer d’une seule flèche. Son énorme visage encadré de cheveux châtains longs et ondulés a tout de la jovialité, et j’imagine qu’il doit être un excellent compagnon de fête lorsque l’occasion se présente. Là, il affiche un sérieux digne d’une tombe.
A sa gauche un maigrelet aux longs cheveux raides attend que Sab se place à ses côtés pour s’incliner de la même façon que Bahraram : « Ereglial ».
A gauche de Sab, sans fioriture, les deux autres enchaînes l’un après l’autre : « Eliadil » et « Météniel ». Le troisième ressemble au second : des traits fins, des cheveux blonds, une peau très claire. Le dernier est chauve, et l’on ne voit de lui que ses longues oreilles pointues derrière des yeux plus sombres que l’espace. Il paraît être le plus âgé, le plus serein.

Tous les quatre sont habillés d’une tunique très longue, une sorte de robe bleue nuit sur la face desquelles sont brodés des signes incompréhensibles. Ils ont un pantalon de même couleur séré aux chevilles. Ils sont équipés d’un arc et de flèches qu’ils maintiennent dans le dos grâce à des sangles qui relient leur cou et leur taille. Sony m’avertit à travers mon récepteur que les broderies de l’uniforme de Bahraram sont identiques aux gravures sur la lame de la petite dague de Sab. C’est sans doute un point important.

Je tente de sourire, et tout le monde remarque que ce n’est pas naturel. Je ne suis qu’un homme faible après tout. Mon sourire était une tentative de leur signifier que j’avais le contrôle de la situation, de leur avenir, mais c’est loin d’être le cas. Cependant, Sab possède assez de clairvoyance pour comprendre qu’il est nécessaire de nous rassurer. Elle s’y emploie longuement en s’adressant aux siens dans un long discours, me fixant de temps en temps sans doute pour m’apaiser moi aussi. Puis vient un ordre court : les elfes se lèvent, me regardent, et me saluent encore une fois en baissant les yeux.

Bon ! C’est là que tout se joue, n’est-ce pas ? Alors commençons :
« Sony ? Peux-tu essayer de traduire ce que je vais dire ? Je demande tout haut en essayant de prendre une voix assurée. Partout où je suis elle peut m’entendre, et partout où elle est elle peut me répondre, soit à moi seul, soit à tout le monde par l’intermédiaire d’une connexion avec l’ordinateur féminin de la station, mon récepteur dans une oreille, ou mon émetteur dans une dent.
– Traduction approximative envisageable ! ».
J’inspire longuement.
« Bien, alors faisons dans l’approximation ! ».

Chapitre 14L'A.V.C.

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