Chapitre 14

Ce que les Anges ont de commun avec les Elfes

Chapitre 13Chapitre 15

LES QUATRE

« Savez-vous qui ils sont ?
– Des gardes, des protecteurs je crois !
– Ses gardes ?
– Oui, sans doute !
– Est-elle si importante pour avoir quatre gardes du corps ? Est-ce bien comme cela qu’il faut les appeler ? Est-ce bien comme cela qu’ils faut les considérer ? Cela me rappelle de vieilles histoires. Des gardes du corps ?
– Ils sont cela, oui, enfin je pense. Des gardes, des protecteurs !
– Mais elle ?
– On ne sait pas grand-chose sur elle. On a seulement déduit qu’elle était importante. Elle n’aurait pas ces gardes sinon.
– Elle doit l’être alors ! Il va donc nous falloir nous aussi la protéger. Ensuite, nous essaierons de comprendre pourquoi.
– Bien ! Des mesures particulières ?
– Faites en sorte qu’il ne lui arrive rien ! Quand nous l’aurons, nous pourrons comprendre. Entre temps, personne, ni l’Empire ni les Croyants ne doivent poser le moindre doigt sur elle. C’est compris ?
– C’est compris Madame ! Est-ce que je peux prendre les mesures qui conviennent ?
– Oui ! Toutes ! Vous pouvez disposer !
 ».

N

ous continuons de réfléchir à l’avenir. Quelque part, je crains que ma présence les emmène trop loin. Quelque part, je pense que je les ai plongé dans une histoire qui ne les laissera pas indemnes. Je n’aurais pas dû venir ici !
Nous continuons de réfléchir à l’avenir. Sab, après avoir terminé toutes les coupes de champagne, ce qui m’inquiète un peu, revient s’asseoir près de moi. Elle sourit, mais reste calme. Elle semble suivre la discussion avec intérêt, le coude posé sur un genou, le menton dans la main.
Nous continuons de réfléchir à l’avenir. Cependant, plus les paroles fusent, plus je suis inquiet. A côté de moi, Sab sent peut-être cette inquiétude.
Nous continuons de réfléchir à l’avenir. Malheureusement, bien que les autres conservent un peu d’enthousiasme, attachés dés le début à l’Elfe qu’ils ont l’air de trouver adorable et qu’ils ne peuvent envisager comme un être mauvais, mon inquiétude ne cesse de grandir, et mon Elfe près de moi s’agite.

On aurait pu comme cela, longtemps, essayer d’envisager l’avenir. Mais Sab nous interromps. Elle se lève brusquement de mon vieux canapé de cuir et parle. Elle se met à parler avec de grands gestes. Tout le monde est surpris, Arthur a encore les yeux grands ouverts, la bouche aussi. Alissa-Aline regarde Sab avec beaucoup d’attention. Moi et Ségui haussons un sourcil, l’air de ne pas comprendre.
Et nous ne comprenons rien. Sab explique quelque chose, j’imagine qu’elle raconte son histoire, sa venue jusqu’à ce que l’on me la livre, jusqu’à ce que je la recueille, et finalement, effectivement, elle s’adresse aux autres en me montrant du doigt. Nous ne comprenons toujours rien, mais nous la sentons désemparée, presque à l’agonie. Elle parle toujours, de plus en plus vite, de plus en plus fort. Des larmes commencent à couler de ses yeux. Elle doit s’en rendre compte, et sa voix se fait plus grave. Son rythme de paroles se fait plus lent. Elle finit par pleurer vraiment. Elle cache son visage dans ses mains, et lorsque cela devient trop intense, elle vient toute tremblante se réfugier dans mes bras, assise sur moi, et j’essaye de calmer ses spasmes en lui parlant de nouveau dans l’oreille et en caressant ses cheveux. Elle est tellement humaine, tellement désemparée, comme n’importe quel être qui se retrouve seul et impuissant face à un monde qui lui échappe…
Alissa-Aline pleure aussi. Il y a toujours des relations intimes entre les femmes que les hommes ne comprennent pas.
Ségui tente d’apaiser Alissa-Aline, Arthur a toujours la bouche ouverte, mais il a les yeux mouillés aussi. Sab se calme, lentement. La fréquence de ses spasmes ralentit, le silence nous envahit.
Cela aurait pu continuer de longues minutes, peut être des heures entières, elle dans mes bras, moi ne sachant trop quoi faire, et les autres nous regardant avec étonnement, désespoir, enfin toute la panoplie de ce que l’on pourrait ressentir dans un moment pareil. Mais Sab a toujours été un être particulier, pleine de surprise. Je n’ai sans doute jamais pu m’en détacher pour une de ces raisons. Lorsque ses pleures s’achèvent, elle sert très très fort une joue contre la mienne, elle se redresse un peu, me regarde droit dans les yeux – ils sont vraiment si beaux – elle renifle, et prend mon visage dans ses mains. Son nez est tout mouillé, et curieusement je la trouve encore plus belle ainsi. Je n’ai pas le temps de réfléchir, elle dépose ses lèvres sur les miennes. Je ne veux pas aller plus loin, je ne veux pas ouvrir la bouche, mais je le fais et je n’y peux rien.

Faut me laisser réfléchir maintenant. Je ne l’ai sans doute pas fait assez depuis que je l’ai découverte. Je crois que je suis fatigué, nerveusement.

Après ce baisé tendre au goût…, exotique, Sab enfonce de nouveau sa tête dans le creux de mon épaule. Les autres nous regardent, et j’ai un peu honte. Je ne sais quelle expression afficher. Si les garçons paraissent un peu choqués, Alissa-Aline sourit, des larmes encore dans les yeux. C’est un long moment pendant lequel personne ne bouge, même Arthur, et c’est pas dans ses habitudes.

Mais c’est encore Sab qui nous réveille de notre hébétude. Elle se lève, me parle et je ne comprends toujours strictement rien, mais elle est très persuasive. Elle me prend par la main, puis m’entraîne vers l’arrière du vaisseau. Les autres suivent. Je pense que le champagne c’était vraiment pas fait pour elle.
Nous débouchons dans la soute arrière au pas de course. Sab est très énervée. Alissa-Aline a un peu de mal à suivre, même si Ségui la soutient. Arthur a toujours les yeux écarquillés.
Sab me lâche la main et s’adresse encore à moi. J’essaye de deviner ce qu’elle me veut mais rien ne vient. J’ai bien envie de demander à Sony de m’aider, mais je suis pas persuadé qu’elle soit déjà capable de me traduire le langage des Elfes. Il faudra encore de longues conversations avant qu’elle y parvienne. Elle n’est pas faite pour ça, mais elle y parviendra… heureusement… vous verrez cela plus tard.

Nous restons entre petits êtres humains à l’entrée du profond hangar, et laissons Sab se diriger vers l’un des quatre caissons. Elle essaye d’en ouvrir un, mais elle ne sait comment y parvenir. Alors elle se tourne vers moi, et machinalement je lui montre de loin qu’il faut appuyer sur le bouton vert du panneau de commande. Pour cela, je pointe un doigt vers une des caisses de plastique au fond de la soute pour qu’elle comprenne la couleur qui convient.

Sab sursaute quand le moteur interne du caisson s’active et diffuse le gaz de réveil. En quelques minutes, l’intérieur du caisson se réchauffe, une impulsion électrique redémarre le cœur de l’occupant, et le gaz pénètre ses poumons. En général, il faut une dizaine de minutes à un homme pour se réveiller d’un caisson d’hibernation… lorsqu’il ne reste pas figé dans la mort. C’est pas une technique tout à fait au point, et je ne m’aventurerais pas moi-même à la tester… Lorsque le couvercle du caisson se soulève légèrement, puis glisse sur le côté tout en s’ouvrant, un être étrange de forte carrure en sort immédiatement. Dans la vapeur qui s’échappe du caisson, on ne le distingue pas bien.
Je n’aurais sans doute pas pu réagir à son geste, tellement il était rapide : c’est un robot garde qui vient me sauver. L’Elfe, debout, équipé comme Sab, a tendu son arc et la flèche était pour moi, lancée avec une force extraordinaire. Je prie encore Azimov de nous avoir sauvé : c’est à peine si je vois le robot s’affaler contre la cloison la flèche brisée dans la main. Le pauvre : trop de vitesse, pas assez de surface pour s’arrêter dans sa lancée. Il s’écroule lourdement sur le sol. C’est bien la première fois que je vois un robot complètement sonné !
Sab hurle à l’adresse du nouveau venu. Une discussion très animée se poursuit entre eux quelques secondes, mais ce nouveau, un Elfe aussi aux oreilles pointues, s’agenouille devant elle en signe de respect. Lorsque je vois Sab se diriger vers un autre caisson, j’entraîne les autres dans la coursive du vaisseau. Pas envie de me prendre encore une flèche ! La porte de la soute se ferme, et je demande à Sony de m’envoyer des vidéos de l’intérieur. Nous attendons une dizaine de minutes que trois autres Elfes masculins en sortent, se remettent de leurs esprits, et écoutent avec attention Sab. Ils s’agenouillent tour à tour devant elle. Cela fait, elle se tourne vers la porte et me sourit pour me faire comprendre que nous ne risquons plus rien. Alors j’active son ouverture, et nous rentrons tous les quatre lentement la rejoindre elle et les siens. A notre vue, ils demeurent sagement derrière elle, mais le premier, le plus costaux, me regarde avec une certaine forme d’animosité.
Pourtant, lorsqu’elle semble nous présenter à eux, il est le premier des quatre à venir s’agenouiller devant moi, me regarde intensément droit dans les yeux, puis baisse la tête.
Voilà j’avais un Elfe sur le dos, et comme si ce n’était pas assez, j’en ai maintenant quatre de plus…

* * *

P « le déménageur » pourrait rendre visite à quelques pirates, mais quelque chose le pousse à penser qu’il n’en obtiendra pas plus. Si la Ligue des Marchands n’en sait pas encore assez, il est probable qu’eux non plus n’auront rien de plus à révéler. De plus, il y risquerait sa vie, même si les pirates ne l’impressionnent pas. De toute façon il sait comment les outrepasser.

P se rend dans le système Aymiay ([1,4]). Dés son entrée dans ce monde à étoile jaune, il prend contact avec Alista Marlbron. Il obtient son frère, Kharon, au bout du fil et se présente avec son nom véritable. C’est une chance que ce soit le frère qui réponde, il était autrefois l’esclave d’un pirate sévissant à la bordure de l’Empire avec lequel P a conclu quelques affaires.

Alista n’est pas là. Elle est sortie faire des courses ; c’est ce que dit Kharon avec la froideur qui lui est coutumière. P n’a pas de raisons de douter de lui, et Kharon ne lui accorderait aucune attention si P ne savait la retenir. Il lui suffit de donner des nouvelles de Phildop IV, son dernier propriétaire.
Avant d’être racheté par sa propre sœur qu’il croyait disparue après que sa communauté de Croyants l’ait vendu à des pirates parce que son père avait commis une faute qu’il me serait difficile de vous expliquer, Kharon est passé de propriétaires en propriétaires. Le plus souvent, il s’agissait de pirates. Le dernier fut Phildop IV, un capitaine un peu trop idiot pour être réellement méchant. Il avait su trouver des qualités en Kharon, et celui-ci n’avait pas eu à subir le lot de tous les esclaves : finir par mourir épuisé à la tâche, se suicider, ou être tué dans d’horribles circonstances. Bref, Kharon était devenu le valet du capitaine. Un jour il lui sauva même la vie.

Kharon laisse patienter P quelques minutes. On imagine qu’il appelle de son côté sa sœur, et elle donne son accord pour un rendez-vous : P est autorisé à rejoindre la villa Marlborn à Donaldsville, sur Cooperworld.

Alista Marlborn est une des plus riche femme de l’Univers. Elle a bâti sa richesse avec une seule opinion : la politique n’est constituée que de gens remplaçables, et il faut rester en dehors de celle-ci pour mieux l’observer, la comprendre, et l’infléchir. Alista Marlborn est de ceux qui ont réussi, et qui ne s’écroulent pas lors du moindre changement à la tête des gouvernements. Son influence pourrait paraître innocente, pourtant, son pouvoir dépasse de loin tout ce que l’on peut imaginer, et celui-ci s’étend en d’invisibles ramifications dans toutes les sociétés diverses abritées par les systèmes figurants dans un rayon suffisamment large autour de Sol, jusqu’à bien en dessous d’Achenar. En quoi ce pouvoir réside-t-il ? Elle sait sourire, et malgré son âge elle est encore étonnamment belle.
Mais elle a surtout su créer autour d’elle une sphère de confiance et d’influence. Enfin, l’argent dont elle dispose est suffisant pour acheter ou éliminer tous récalcitrants. Il faut, dans ce monde, savoir jongler avec cela, même si ce n’est pas toujours agréable. Elle est capable, dans toutes circonstances, de garder la tête froide.

Alista Marlborn sait en général tout ce qu’il faut savoir de l’univers si elle le veut, et cela suffit. Alista Marlborn sait souvent comment orienter l’univers connu à sa guise. On a dû vous dire un jour que l’argent ne faisait pas le bonheur… On vous a un peu menti : l’argent sert surtout à obtenir le pouvoir, c’est vrai, et à s’approcher du bonheur accessoirement. Le bonheur peut lui aussi s’acheter. Dans le cas d’Alista, l’argent est un moteur qui sert à tout. Il n’y a qu’une chose qu’elle n’a pas réussi : c’est garder auprès d’elle son explorateur qui parcourt sans cesse l’univers à la recherche et à la conquête de nouvelles terres et ne revient la voir que rarement. Elle a tout de même réussi à lui arracher un fils, lieutenant dans la marine de la Fed, et elle en éprouve une grande fierté… même si elle est elle-même à l’origine de sa situation.

P atterrit une vingtaine d’heures plus tard sur le grand astroport de Donaldsville où il laisse son vaisseau rapide à Charlie dans les chantiers navals pour une révision. Charlie est une femme de génie qui conçoit, répare et améliore des vaisseaux, et il faut la payer cher pour cela. Mais la qualité n’a pas de prix. Je connais moi-même Charlie, évidemment ! Le monde n’est jamais aussi vaste qu’on pourrait le souhaiter.
Comme il arrive en plein début d’après midi, il prend un taxi pour la villa Marlborn. Lorsqu’il sonne à l’entrée, ayant été observé depuis la grille qui donne à la villa ses limites, c’est Kharon qui l’attend sur le palier et l’accueille à l’heure du thé. Bien qu’il soit beaucoup plus petit que le grand et costaux P, l’ancien esclave le regarde avec beaucoup d’inimitié. Il ne le laisse entrer qu’après quelques secondes où chacun s’est jaugé mutuellement. Les yeux ne trompent jamais Kharon.

La villa Marlborn ressemble à une villa marseillaise. Au loin, la mer que l’on aperçoit pourrait être la méditerranée, et les gens du coin pourraient avoir l’accent qui convient. Sur les murs peu hauts de la longue bâtisse aux toits d’ardoises orangées et roses, prés du porche de l’entrée, on a essayé de faire pousser des rosiers, mais ceux-ci sont morts désormais. Alista laisse les choses en place ; Enfin, elle laisse Kharon s’en occuper. Et Kharon ne remplace jamais ce qui est mort. Kharon a vu trop de morts pour cela. D’autres plantes, un jour, viendront pousser là naturellement, et les rosiers s’effaceront.

De l’intérieur, la maison est très chargée. Beaucoup de tapis, de meubles anciens en bois véritables, des tableaux aux murs, des bibelots un peu partout. On fait patienter P dans un salon occupé par deux petits canapés l’un en face de l’autre, séparés par une petite table basse. Au mur, de vielles photos que P ne reconnaît pas sont accrochées. Il s’agit de tous les présidents des anciens Etats-Unis depuis George Washington jusqu’à Bill Clinton (ne réfléchissez pas trop là-dessus, sinon vous entrapercevrez votre avenir). D’ailleurs, une porte fenêtre donne sur une bibliothèque. P distingue à l’intérieure de celle-ci de grands rayonnages de livres anciens, comme on en fait plus à cette époque. Tout au fond sont accrochés au mur côte à côte un drapeau américain et un drapeau français. Cela ne dit pas grand-chose à P : 1000 ans d’histoire sont derrière lui, mais ce sont des choses auxquelles est attachée Alista Marlborn, et on ne sait pourquoi. Si j’étais allé un jour en Louisiane, je vous dirais que l’intérieur de la maison a tout de ce vous pourriez y découvrir. Une autre porte fenêtre du salon donne sur un jardin où fleurissent beaucoup de fleurs, éclairant la pièce d’une lumière douce mais claire, comme celle de notre soleil. Deux fauteuils à bascule issus des musées de l’ancienne Louisiane où l’on n’enseigne plus le français ni l’américain mais uniquement le galactique, se balancent doucement aux grès du vent qui souffle un peu à cette heure-ci.

Un robot entre dans la pièce, et P a le choix entre le thé et le café. Il se décide pour le café, et il ne faut que quelques minutes pour que le robot revienne le servir. Le goût et l’arôme du vrai café terrien dont le coût peut s’avérer déplacé pour toutes personnes modestes sont révélateurs de la richesse de la maison. Il le sirote avec beaucoup de félicité lorsqu’Alista apparaît derrière la porte vitrée de la bibliothèque. Elle tient une ancienne bible à la main. Petite comme son frère, habillée d’un tailleur qui n’est pas de son temps, elle dégage quelque chose qui conduit immédiatement au respect. Je crois qu’elle porte un regard particulier sur la vie, sur les gens, et sa petite taille ne fait qu’accentuer contradictoirement ce sentiment. Vous pourriez être de deux mètres plus grand qu’elle, vous vous sentiriez tout de même écrasés par sa présence. Son regard et son masque derrière lequel n’apparaît aucun sentiment en sont sûrement la source.
Elle le rejoint d’un pas nonchalant et s’assoie en face de lui dans le petit canapé. La discussion peut commencer. Comme je vous l’ai déjà dit, et si ce n’est pas le cas je m’en excuse, Alista Marlborn n’est pas idiote, et c’est toujours elle qui mène les conversations. P devra rester ferme.

« Vous êtes de l’Empire, n’est-ce pas ? Le scrute-t-elle des ses grands yeux noirs.
– Oui. Comment l’avez-vous deviné ?
– Il y a des signes qui ne trompent pas. Et si Kharon ne me l’avait dit, je l’aurais deviné ».
On peut bien croire qu’elle aurait réussi. Elle a des qualités indiscutables qui l’ont amenée où elle en est, et sans doute un dossier assez complet sur tous les faits et gestes reconnus de P sous son nom officiel ou son pseudonyme de déménageur.
« Que me voulez-vous ? Lui demande-t-elle directement en le scrutant toujours dans les yeux.
– Je cherche des réponses, pour le Roi, à ce qui se trame en ce moment ! dit-il franchement en résistant à son regard. Il lui sourit pour lui montrer qu’il conserve une certaine maîtrise de la situation.
– Il se passe toujours beaucoup de choses dans l’univers, vous savez !
– C’est un peu plus important en ce moment ».
Alista Marlborn pose sa bible sur la petite table qui les sépare. Le même robot entre aussitôt et vient lui servir un thé à l’ancienne, dans un silence seulement occulté par le bruit du filet de l’eau se déversant dans la tasse, dégageant une agréable odeur de citron. Il disparaît immédiatement comme il est entré.
Alista, jauge la température de la tasse en posant sa main juste au dessus, décroise et recroise ses jambes qu’elle a encore magnifiques, puis saisit le récipient délicatement de deux doigts, en laissant les autres relevés, pour l’amener à ses lèvres.
« Vous auriez eu envie de petits gâteaux avec votre café ? Je n’en prends jamais avec mon thé !
– Nous, cela suffira, je vous remercie. Et c’est déjà un grand honneur que vous me faites en me recevant !
– Je sais qui vous êtes ! On m’a prévenu de votre départ de Sol, et je pense que les petits désagréments de la Ligue des Marchands viennent de vous ?
– Ils viennent de moi. Je ne devais pas laisser de traces !
– Alors vous pensez que quelque chose d’important se déroule en ce moment ?
– Mon roi en est convaincu. Je le suis aussi !
– Je le sais. L’Empereur fait des pieds et des mains, comme la Fédération pour comprendre. Et vous avez raison, quelque chose est en train de se passer. J’ai mes propres moyens, mes propres sources d’informations.
– Alors, pouvez-vous m’aider ? »

Elle réfléchit un long moment, tout en terminant son thé, et dépose sa tasse sur la petite table au milieu d’un napperon ancien. Ceci fait, le robot refait son apparition toujours dans le silence, la débarrasse, et repart immédiatement.

« Malheureusement, je pense également qu’il se déroule un événement important ! Commence-t-elle gravement. Je ne peux rien vous dire pour l’instant, je n’en sais pas beaucoup plus, mais cela ne saurait tarder. Aussi, je vais avoir besoin de votre aide ! ».
P s’interroge, il n’a jamais travaillé que pour son Roi, et il semble songeur quelques dizaines de secondes.
« Ne vous en faites pas ! dit-elle. Cela n’ira pas à l’encontre de vos précédents ordres ! ».

P n’a pas trop les moyens de refuser. Et c’est pour lui plutôt une chance.

* * *

Les recherches sur les restes des Apôtres menées par le vaisseau laboratoire le plus avancé de l’univers ont révélé une certitude : ceux qui les pilotaient étaient des religieux. Des restes d’objets de cultes et le corps d’un capitaine ont suffi. A part cela, rien ne permet d’identifier les vaisseaux, rien ne permet de déterminer leur source dans cet univers, et rien ne permet de comprendre quoi que ce soit de leurs présences et de leur hostilité. Le général Wallen Al-Baz décide donc de rentrer faire son rapport sur Sol pendant que 16 croiseurs quadrilleront l’espace à la recherche du dernier Apôtre et de l’évadé : moi. Deux autres l’escorteront lui et le vaisseau labo.

Arrivé dans le système Sol, une communication des plus importantes lui ordonne de regagner directement Sol 3, là où siège Alpha. Les deux croiseurs qui le suivent l’accompagnent lui et le labo, puis rejoignent Mars.

Peu de temps après la mise en orbite des deux vaisseaux, Al-Baz emprunte un véhicule de descente et accompagne les transports du labo. De plus amples analyses seront faites sur Terre. Dés leur entrée dans l’atmosphère, une batterie de chasseurs les suit jusqu’à une base militaire non loin de New York. Wallen Al-Baz apprend que la disparition de sa flotte n’a pas encore été révélée à la presse, et par radio et avec l’accord du haut commandement, il confie à son lieutenant le devoir d’annoncer les morts à leurs familles : une erreur dans le saut TN les a tragiquement conduit à s’écraser sur un des soleils d’Ioasso. Voilà ce que sera la version officielle pendant de longues années.

Alpha attend le général dans un bureau militaire sans la moindre fioriture. Dés l’atterrissage, un véhicule vient chercher Al-Baz et le conduit vers un bloc d’administration militaire carré et froid fait de béton et de poutres métalliques, et un ascenseur le descend à quelques centaines de mètres en dessous de la surface : juste le temps d’avoir une pensée pour Mélanie, sa femme.
Deux militaires des forces spéciales d’encadrement du gouvernement (des mecs plus proche du robot que de l’être humain) se tiennent au garde-à-vous près d’une porte de métal au fond d’un couloir nu, et on laisse pénétrer le général dans la petite pièce qui n’est qu’un petit bureau. Il n’y a que deux chaises, chacune d’un côté d’une petite table sur laquelle seule une petite lampe éclaire la pièce.
Wallen reconnaît Alpha derrière la table. Celle-ci a posé ses coudes sur le meuble, et son menton repose sur ses deux mains liées.

« Asseyez-vous ! Ordonne t’elle en montrant des yeux la chaise libre en face d’elle ».
Wallen réajuste son uniforme, et sans la saluer, s’assoie dans un soupir. Comme lui, je pense qu’il n’est pas nécessaire de s’encombrer des règles de politesses dans un moment pareil. 300 000 morts en quelques secondes, 6 croiseurs détruits, c’est un événement suffisamment inhabituel et sérieux pour s’abstenir de serrer les fesses, se tenir droit et décliner son identité comme un automate. Alpha est au courant de la situation de toute façon, et devant elle quelques feuillets sont éparpillés : ce sont les rapports initiaux des deux frégates qu’il a envoyé en demandant des renforts.

Wallen Al-Baz conservera par la suite ces égards particuliers à l’adresse d’Alpha, sans fioriture. Alpha sait comment maintenir ce type de relation particulière avec les personnes sur qui elle doit compter. C’est toujours plus simple que de s’encombrer d’un protocole ridicule.

« D’après les rapports du labo, tout cela est l’œuvre de religieux ?
L’interpelle-t-elle directement. Vous le croyez réellement ?
– Je pense qu’on ne peut pas douter sur cette question ! Répond-il sûr de lui.
– Quand est-il de l’autre inconnu ?
– Il a réussi à s’échapper. Dans notre fuite, nous n’aurions pas pu penser que nous tomberions dans le même système que lui. C’était un pur hasard. Mais nous l’avons reconnu ».

Alpha soupire. Décidemment cette affaire semble s’avérer aussi importante qu’elle le pensait. Alpha possède une intuition remarquable. Elle ne se trompe que rarement.

« Que suggérez-vous ? » Lui demande t-elle comme si elle n’avait encore rien prévu.
Wallen Al-Baz songe à son épouse Mélanie qu’il aimerait revoir ne serait-ce que quelques secondes avant de repartir en mission.
« Nous devons interroger le Pape-Imam, et pour cela nous devrons faire preuve de persuasion ! Lâche-t-il en appuyant sur les derniers mots.
– Bien, que me conseillez-vous ?
– Donnez moi une flotte de croiseurs et j’irais les provoquer !
– Ne pensez-vous pas que cela sera trop, qu’on se posera des questions ? »

Wallen reste silencieux quelques secondes. Pour lui, il faut frapper fort, même si l’opinion publique peut en venir à se poser des questions. Il a perdu 300 000 hommes, presque toute la 3ème flotte de la Fédération.

Alpha modère quelque peu ses ardeurs :
« Je vais vous confier le commandement de la seconde flotte, pendant ce temps la 4ème ira la remplacer à la bordure de la Fed face à l’Empire.
– Mais l’Empire réagira ?
– Je crois qu’il a déjà réagi, mais comme nous il ne sait pas ce qui nous attend. Vous laisserez votre flotte en dehors du système Aydaed, mais pas trop loin, que les détecteurs du Pape-Imam puissent vous repérer, et vous irez seul lui poser les questions qui conviennent.
– Bien ! Et quelles sont précisément ces questions ? »

Alpha soupire encore une fois.

« Je n’en sais pas plus que vous. Mais comme vous étiez là au moment où il ne fallait pas, je pense que vous aurez assez de bon sens pour poser les bonnes questions !
– Bien Madame.
– Vous allez rejoindre immédiatement Li Qinq Jao, et dans quelques heures la seconde flotte vous rejoindra en orbite de la station orbitale. Vous pouvez disposer ! »

Wallen Al-baz se lève de sa chaise et réajuste une nouvelle fois son uniforme. Il adresse un dernier regard à Alpha avant de quitter la petite pièce et de regagner l’ascenseur.

Chapitre 13Chapitre 15

 

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