Un matin pas comme un autre

Un matin pas comme un autreC’est un matin comme un autre. Levé 6h41, quelques secondes pour émerger, puis aller me réchauffer 1/4 de pizza et me prendre un verre de jus de cerise avec mes médocs.
Je m’installe dans la pièce qui me sert de bureau, il y a trois ordis. Deux sont allumés, un est le serveur sur lequel vous lisez ceci, l’autre est mon ordinateur de bureau. J’allume l’écran de celui-ci et je consulte mes messageries et mon forum, tout en avalant mon bout de pizza, mon jus de cerise et mes deux Prozacs… Puis fumer deux clopes l’une après l’autre.
Ensuite, toilettes, puis douche, rien de bien inhabituel. Après m’être lavé les dents, je m’habille dans mon bureau tout en fumant encore une cigarette et en éteignant l’ordinateur de bureau. Il me reste à mettre mes chaussettes, mes pompes, prendre mon sac à dos, me couvrir de ma veste en jean et sortir de l’appart. Ascenseur, sous-sol, garage et je prends mon BMX de mes 15 ans, mon vélo qui me donne tellement plaisir de pédaler.
Comme d’habitude, toujours, cette putain de télécommande ne m’ouvre pas la porte des garages souterrains, je dois prendre l’escalier. Et comme d’habitude, la grille de la résidence ne fonctionne pas non plus. C’est tous les matins la même chose. La même chose.

Je me retrouve au carrefour si bruyant que parfois j’ai l’impression de devenir à moitié fou, et j’attends que le feu de l’avenue passe au rouge pour devancer ceux qui vont sortir des deux rues perpendiculaires. J’accélère vite, c’est mon jeu, et je suis très rapide sur de courtes distances, comme une lionne…
Deux cents mètres et je grille mon premier feu, grillées aussi les bagnoles qui arrivaient derrière moi. Traversée de carrefour, encore deux cents mètres, feu rouge, je monte sur le trottoir et je traverse sur le passage piéton.
Ensuite, c’est le pont qui passe au dessus de l’autoroute et du canal, ça monte, j’ai un peu de mal, un peu de mal aux genoux. Pas grave, car vient la descente, bifurcation pour le public et j’emprunte la voie de bus tout droit. Encore deux feux à griller, puis je tourne à droite, double à gauche ceux qui patientent au carrefour suivant, et je les devance au vert en tournant à gauche ; L’avenue de la cathédrale. C’est sur deux voies pendant un moment, mais c’est amputé d’une pour cause de travaux un peu plus loin. Donc, ça bouchonne, et moi je grille encore tout le monde à droite, je grimpe de nouveau sur le trottoir, j’évite de justesse un passant qui se rend comme moi à son boulot, et je précède encore tout le monde au prochain carrefour. Je prends l’avenue sur la droite : deux voies dans mon sens et une dans le sens inverse réservée aux bus. Il y a toujours beaucoup de monde à cet endroit là, alors je prends la voie des bus pour doubler jusqu’au feu suivant ; Feu rouge ; Je m’arrête à gauche d’une grosse bagnole. En face, un bus. Je vais avoir très peu de temps pour griller la voiture et passer devant elle, sinon je m’emplafonne le bus.
Mais le mec à ma droite, dans sa grosse caisse, démarre aussi vite que moi. Peut-être qu’il ne m’a pas vu, peut-être que c’est un con dans une grosse caisse qui se fout de ce qui l’entoure, on saura pas.
Quand j’avais 16 ans, j’ai remplacé le guidon de mon BMX par un plus large, parce que c’était « in », parce que cela donnait plus de stabilité, surtout sur la grille de départ des pistes de bicross.
Mais là, mon guidon est trop large, je le sens. Je ne regarde pas dans les yeux le chauffeur du bus qui vient sur moi comme je le fais d’habitude pour apeurer et emmerder les autres en freinant à deux mètres d’eux après une arrivée à fond, ni le mec de la grosse bagnole. J’essaye d’accélérer pour me permettre de doubler la voiture et me rabattre juste avant de quitter la voie des bus, mais j’ai pas assez de pêche. Je me retrouve juste un peu avant que les deux autres se croisent avec moi au milieu. Et là, je comprends. La poignée gauche de mon guidon touche le côté du bus, je suis projeté contre son flanc, et le choc me renvoie sur le capot arrière de la bagnole. C’est curieux mais j’ai de la chance. Je rebondis dessus pour m’étaler sur le capot avant de la caisse qui suivait la première ; J’aurais pu passer sous ses roues. J’ai de la chance, j’aurais pu.
Je suis projeté de nouveau sur le côté et je m’effondre sur le trottoir.
Il fait froid je crois et c’est le silence. Doucement, mes yeux se ferment et je m’endors. Il me semble que j’ai une dernière pensée pour les anges et les elfes, et puis plus rien, plus de son, plus d’image.

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Depuis quelques jours, je suis dans une chambre blanche, un masque sur la face, une perfusion de quatre bouteilles de je ne sais quoi, des hommes et des femmes en blanc passant et repassant. Et puis il y a cette femme d’une cinquantaine d’années à gauche de mon lit, et cette fille brune assise à ma droite qui me tient la main.
Elles me disent que l’une est ma grande sœur, et que l’autre, Flo, est mon ex-petite amie. J’ai soupiré, un peu dans la douleur, un bon nombre de fois comme seule réponse à leurs questions. Je ne les connais pas.
Je suis allongé, et je préfère la nuit : Je suis seul, on me laisse tranquille, pas de visite, nuit calme, pas de pseudos collègues de boulot que je ne connais pas non plus et qui passent régulièrement. Je veux, JE VEUX qu’on me laisse en paix.
Mais. Il y a toujours un MAIS. On m’aime, on a besoin de moi, je manque, je suis indispensable, mais je suis tellement bien dans mon vide que je ne veux pas en sortir. On m’a appris que ma mère est morte il y a quelques mois, que mon père vient de nous quitter aussi, mais tout cela ne me concerne pas, ne fait pas partie de mon monde à moi. Je veux qu’on me foute la paix, LA PAIX !

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Un jour, un matin, après avoir été lavé par une dame en blanc et m’être senti encore humilié, j’en ai eu assez. Alors simplement, j’ai décidé de cesser de respirer…

Avant AVC

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