J’irai dormir sous les ponts

La fin des Haricots

J'ira dormir sous les pontsLe jour où j’ai terminé mes études, je suis tombé le cul par terre : il allait falloir bosser !

Je sais, on passe notre jeunesse sur les bancs de l’école pour nous préparer à cela, pour faire en sorte de se dégoter un boulot pas trop débile et assez bien payé. Sinon, on fait comme certains, on arrête le bahut à 16 ans et on va trimer à l’usine.
Moi, j’avais fini par faire totalement abstraction de cette réalité-là – je dirais « cette idiotie-là » – au point justement de me prendre une enclume sur la tête quand je me suis réveillé. J’imagine que tu dois trouver cela très fort, mais moi je l’explique très bien. Je tenais ça d’une de mes devises favorites qui dit en gros : « Quand t’es dans la merde, déprimer ou pas n’y change rien ; alors autant ne pas perdre ton temps à déprimer, et pour cela vire de ta tête tout ce qui t’emmerde ! » Je tenais ça d’une salle histoire qui s’était mal terminée quelques années plus tôt. Un jour, j’en avais eu assez d’en baver depuis des mois, alors j’avais décidé d’oublier. Et comme si mon esprit n’attendait que ça, d’un seul coup ça avait quitté ma tête et je m’étais senti beaucoup mieux.
Là, en ce qui concerne « l’entrée dans la vie active », c’était une perspective qui m’ennuyait à un point tel que j’avais fini par la ranger dans un coin de mon crâne pour ne plus y penser. Sinon, j’aurais passé mon temps à y réfléchir, et cela aurait été de pire en pire plus l’échéance s’annonçait, du genre « mais que vais-je bien pouvoir faire de ma vie ? », et j’aurais fini par en devenir dingue ou par me tirer une balle.

Je sais, il est bien facile de tenir ce genre de propos. Tu dois aussi avoir un peu de mal à croire tout ce que je te raconte. Hé bien le fait est que c’est pourtant comme cela que ça s’est passé. Bien sûr, on ne sort jamais réellement de sa tête tout ce qui est source de problèmes. Si c’était si facile à faire, ça se saurait. Pourtant, moi j’y parvenais – et j’y parviens toujours – avec de plus en plus de facilité. Je sais que ce n’est pas une solution, que c’est une sorte de fuite, une sorte de lâcheté que de ne pas vouloir affronter sa vie telle qu’elle est, doit être, ou serait, mais je crois que je n’avais pas assez de force mentale, pas assez de nerfs, pour prendre tout de front et me battre. C’était plus facile de me détourner, de remettre à plus tard en quelque sorte, et de régler tout ça seulement quand c’était réellement nécessaire. J’épiloguerai pas la dessus plus longtemps, chacun sa conception des choses.

Mais enfin, quand tu y réfléchis bien, admets que cette réalité, je reparle du « boulot », admets qu’elle est d’une débilité profonde. On devrait se faire chier toute notre vie à bosser, tout ça pour se payer une retraite en n’étant même pas sur de l’obtenir, et puis seulement avoir le loisir d’en profiter quand on est même plus capable de bander ? Tu trouves ça normal, toi ? Ben moi pas !
Je sais, je sais ! A moins d’avoir gagné au loto, à moins d’avoir hérité d’une somme faramineuse, ou à moins de je ne sais quoi encore, seul le boulot permet de bouffer. On aura beau dire ce que l’on voudra, ou j’aurais beau dire ce que je voudrais, ou même plutôt j’avais beau me dire ce que je voulais juste à la fin de mes études, je pouvais pas y couper.
C’était pas réellement le fait de travailler qui m’ennuyait tout à fait. A la rigueur, j’aurais pu m’habituer à cette idée ! Non, je crois que c’était autre chose. Parce que j’aurais peut-être pu finir par trouver un boulot intéressant, que j’aurais même fait pour rien, gratuitement. C’était le Système, ce Système, cette idée de la société qui m’emmerdait par dessus tout. J’avais entendu dire que plus de 80% des français s’estimaient heureux. J’y croyais pas, ça me paraissait beaucoup trop élevé. La plupart des gens ont un boulot qui les emmerde. Tout ce qu’ils attendent, c’est de rentrer le soir, c’est d’en arriver au week-end ou d’être en vacances. Il suffit de les observer un peu dans la rue ou en train de travailler pour s’en persuader. Moi, je ne voulais pas leur ressembler. Je ne voulais pas m’amuser toute ma vie à faire semblant d’être heureux, à duper tout le monde et à me duper moi-même. Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde rentrait dans ce Système, tous par la force des choses, comme de gentils petits moutons qu’on emmène à l’abattoir, qui savent qu’ils vont en crever mais qui y vont quand même.

En fait, je crois que j’aimais trop ma petite vie d’étudiant pour en changer. J’avais trop appris à en profiter, à profiter de tout le temps libre que ça me laissait. Parce que plus on grimpe les échelons dans les études, plus on a du temps pour soi. En maîtrise, j’avais à peine 20 heures de cours par semaine. Et comme en plus j’y allais pas tout le temps, laisses-moi te dire que j’en avais des heures à tirer à faire ce que je voulais.
En gros, je ne faisais pas grand-chose. J’avais des tas d’amis, des tas d’anniversaires à souhaiter, y’avait des tas de soirées étudiantes, etc… Je ne ratais jamais aucune occasion de faire la fête, et cela souvent plusieurs fois par semaines. Evidemment, j’avais un peu de mal à me lever les lendemains à 6 heures du mat’ pour être en cours à 8 heures. Soit alors je me roulais un pétard pour me donner du courage (et la je ne captais rien à ce que baratinaient les profs), soit je restais dans mon lit et je roupillais jusqu’à midi. Généralement, je restais dans mon lit. Quand je réussissais à en décoller, c’était juste pour me donner bonne conscience. J’en avais parfois besoin, je ne pouvais pas toujours jouer au con sans en faire un minimum.

Ce que j’aimais aussi par dessus tout, c’était glander. Qu’est-ce que j’ai pu glander pendant toutes ces années d’études ! C’était faramineux. Je pouvais passer des heures entières à ne rien faire sans m’ennuyer la moindre petite seconde. Quand j’y réfléchis, à la rigueur, je trouvais toujours quelque chose d’intéressant à faire. Evidemment, quand je dis intéressant, ça volait pas bien haut mais au moins, je faisais ce qui me plaisait. Et puis à la rigueur aussi, quand je n’avais rien à faire, je scotchais devant la télé à regarder un feuilleton débile ou alors je dormais.
C’est vrai, j’avais la salle habitude de suivre des feuilletons débiles, genre Dallas, Côte Ouest, et même pire : Les feux de l’amour ! C’était pas très glorieux ni même très intelligent, mais je ne pouvais pas regarder un épisode sans me sentir obligé d’allumer ma télé le lendemain à la même heure pour enfin savoir ce qui allait se passer. Je tombais perpétuellement dans les filets tendus par les chaînes à connerie, filets réservés aux bonnes petites ménagères de moins (ou plus) de 50 ans. C’était typique, j’étais typique.
En fait, la télé était tout le temps allumée. C’était pas réellement que je la regardais, c’était juste pour me donner l’impression d’une présence. Et puis j’étais pas comme ceux qui peuvent écouter de la musique à longueur de journées. Mais j’avais beau faire, même sans me concentrer dessus, j’enregistrais quand même ce qui s’y passait.
Faire la sieste, c’était aussi une de mes occupations favorites. Ça l’est toujours d’ailleurs. Je ne sais pas réellement pourquoi j’aime cela, parce que je peux très bien m’en passer. Mais j’adore fermer les yeux et penser, imaginer ma vie telle que je la désire tout en attendant le sommeil. Et puis je fais souvent de jolis rêves pendant mes siestes, et généralement des rêves érotiques, ce qui me change et me changeait de ma pauvre petite réalité sexuelle quasiment inexistante. A cette époque, j’attendais encore le grand amour, et puis j’en avais raz la casquette de la branlette.

Peut-être que tu te dis qu’à cette période-là, après ma maîtrise, j’aurais pu continuer en DEA, DESS ou je ne sais quoi. Je sais, j’y avais un peu réfléchi. Seulement, j’avais déjà assez glandé à la fac et j’arrivais à l’âge maximum. Après, être étudiant devenait un peu compliqué. Il y avait aussi le fait que j’aurai dû changer de patelin, aller m’installer à 300 bornes et j’en avais pas envie. J’aurais dû quitter tous mes amis, et dieu sait combien c’est difficile et long d’en trouver de vrais. Et puis ça m’aurait obligé à quitter Reims alors que je me sentais comme chez moi là-bas, comme si j’y étais né. A cela, j’y ajoutais d’autres raisons ridicules, du genre qu’il aurait fallu que je me dégote un appart et que sans revenu c’était difficile (il faut payer une caution puis deux à trois mois de loyers d’avance), même si j’avais pu bénéficier de l’aide des CROUS (Centres Régionaux des Œuvres Universitaires et Scolaires).

Je crois tout de même que mon inconscient (ou ma bonne conscience) me poussait à me réveiller enfin et arrêter de jouer au con.

Ouais !
Alors en septembre, juste après avoir obtenu mon diplôme, j’ai pris quelques initiatives.

Parenthèses

Mi-septembre, il me restait un exam plus une soutenance de stage à passer. Pour l’exam, c’était pas du gâteau. C’était un module que je ne détaillerai pas mais où je ne comprenais strictement rien. Je m’étais tapé un joli petit 3 sur 20 au premier semestre, et j’étais pas trop en mesure de faire mieux au rattrapage.

Pendant les grandes vacances scolaires, j’étais donc en stage. Pour obtenir le diplôme, il fallait passer par là, pas moyen d’y couper. A priori, j’aurais dû l’effectuer en entreprise, mais certains profs permettaient que ça se fasse à la fac. J’avais donc sauté sur l’occasion, et j’étais pas le seul, même si j’estimais que bosser en entreprise aurait pu être une chance supplémentaire de dégotter un bon boulot plus tard. En fait, à partir de la fin juin, plus personnes n’était là pour nous surveiller. On avait notre propre salle où l’on était censé venir bosser matins et après-midi, mais généralement on arrivait là-bas vers 14h30 et on repartait deux heures plus tard pour faire un tour en ville et s’arrêter boire un verre dans un café. Fallait vraiment pas nous en demander plus !

Ce stage ne durait que trois mois. En août, j’étais donc libre. J’aurais évidemment pu essayer de chercher du boulot, seulement, j’avais plutôt envie de prendre des vacances. Et puis il faisait beau, et travailler était… fatiguant ! Bref, je passais mes journées à glander et à me balader.
Pour avoir bonne conscience, je me disais qu’il fallait que je me mette à réviser, sinon, en septembre, j’allais me planter. Malheureusement, même si pour moi ça n’avait rien de malheureux, j’étais pas foutu de me prendre même la moindre petite heure par jour pour ouvrir un cahier. Je remettais tout ça à chaque fois au lendemain, et à force de lendemain, les vacances se terminèrent et je n’avais toujours rien fait.

Depuis quelques mois, j’avais repéré chez moi un truc un peu bizarre. Pour être clair, disons que j’avais découvert un kist à un endroit mal placé, vraiment très mal placé (en gros, sur une couille, t’imagines ?) Et ce n’est que début septembre que je suis allé chez le médecin pour savoir de quoi il en retournait. J’imagine que c’était voulu, j’aurais pu y aller beaucoup plus tôt, et surtout durant les vacances, mais je savais que j’allais me faire opérer et je ne voulais pas que cela gâche la moindre de mes journées de plein été.
En fait, je me suis fait charcuter 5 jours avant mon exam et ma soutenance de stage. Et dire que je croyais que ce serait du gâteau. J’ai pas réussi à marcher correctement pendant deux semaines ! Ceci dit, tant bien que mal, je suis tout de même monté à la fac, j’ai passé l’épreuve et surtout j’ai passé mon temps à m’excuser auprès de mes profs de ne pas avoir trop la pêche. Résultat, on a été gentil avec moi, on a rattrapé le petit point qu’il me manquait, et je suis sorti de là-bas avec une mention qui me donnait assez de fierté, surtout parce que je n’avais pas glandé grand-chose tout au long de l’année. Faut croire que j’étais tout de même plus ou moins doué…

J’ajouterai que cette opération et ma convalescence ne m’ont jamais empêché de m’amuser. Pendant cette période, j’étais tout le temps fourré en boîte. Depuis quelques années, j’allais toujours dans la même, très régulièrement, et parfois plusieurs fois par semaine. Ils avaient alors fini par m’y laisser rentrer gratos. Laisses-moi te dire que j’en profitais un maximum, même si j’avais du mal à tenir sur mes pauvres cannes. Trois jours après mon opération, j’étais là-bas. Au lieu de danser, je restais debout et j’oscillais de la tête. J’avais évidemment très mal, mais comme j’étais bourré, je m’en foutais. Au moins, ça ne m’empêchait pas de m’amuser.

Ouais ! Je quitte ces quelques paragraphes pour en revenir à l’essentiel.
Alors, donc, en septembre, juste après avoir obtenu mon diplôme, il a bien fallu que je prenne conscience qu’il allait falloir bosser.

J’irais faire la queue, comme tout le monde !

Déjà, juste après avoir obtenu mon diplôme, j’aurai bien voulu aller faire les vendanges comme tous mes copains qui y étaient partis ensembles. Je commençais à avoir des problèmes de fric, et cela m’aurait bien aidé. Seulement, après l’opération, il me fallait du repos, et surtout pas me tuer à la tâche, courbé huit heures par jour durant toute une semaine à couper du raisin. J’avais pas du tout envie que ma plaie s’ouvre et retourner à l’hosto.

Quand je me suis senti mieux, j’ai commencé à réfléchir à ce que je pouvais faire. Même si ça ne me plaisait guère, il fallait bien que je bouffe, et donc trouver du boulot. Pourtant, je voyais autre chose.

Tout d’abord, j’aimerais remercier notre cher gouvernement qui nous a créé ce fabuleux Revenu Minimum d’Insertion. En voilà une de chose qu’elle est bonne ! T’imagine ? On m’aurait filé un peu plus de deux miles boules par mois pour vivre, ce qui n’est pas énorme en somme, mais c’était toujours un peu plus que les 1800 que me donnaient les bourses nationales quand j’étais étudiant. A l’époque, même si c’était très juste pour vivre correctement, ça me suffisait tout de même. Alors là, que demandait le peuple !
En plus, je savais que je recevrai bientôt cette putain de taxe d’habitation, et que quand on est abonné au RMI, on est dispensé généreusement de la payer. Tu vois, trop cool !

Bref, j’étais motivé au départ ! J’aurais pu rentrer dans le système, facilement, si toutefois rentrer dans le système n’était pas aussi chiant.
Le RMI est une bonne chose, ouais, seulement, c’est une affaire administrative que de s’y inscrire, mais l’administration… Je pourrai gueuler après l’administration pendant des heures, et je ne serai sûrement pas le seul. Peut-être que le gouvernement finirait par nous entendre si on gueulait tous en même temps !
L’inscription au RMI ? Tout un bordel ! Le premier jour où j’y suis allé, dans un joli bâtiment presque neuf, on faisait la queue de partout : on faisait la queue pour l’aide médicale, pour des aides diverses, et on faisait la queue rien que pour l’inscription. Tout d’un coup, l’univers du chômage, de la misère, tout ça m’a sauté aux yeux. Et dire que j’étais dans une putain de ville où des putains de bourges champenois s’évertuent à trouver des moyens de dépenser leur putain de fric ! J’étais là, assis sur une chaise, attendant mon tour, un numéro à la main, comme tous ceux qui étaient là, alors que d’autres se prélassaient je ne sais comment à faire je ne sais quoi de leur trop plein de fric. J’étais là, attendant mon tour, juste pour que l’on m’indique quels papiers fallait que je réunisse pour qu’on m’attribue ce putain de RMI, 2100 balles par mois, pour vivre, alors que d’autres les jetaient par les fenêtres dans des soirées au resto, dans des paires de chaussures, dans de l’argent de poche pour les gosses. Ça m’amusait quelque part, mais quelque part aussi, j’avais honte de me retrouver là. J’avais fait des études, j’avais tout de même une maîtrise, et je me retrouvais là, avec ce que les bourges appellent sûrement la lie de leur société, avec les sans-papiers, avec les RMIstes, avec les chômeurs. J’étais plongé dans le bordel, dans cette merde de vie qu’on semble vouloir oublier, que la télé occulte les trois-quarts du temps, alors que cela devrait être toujours à la Une.
Et on m’a bien emmerdé, on m’a bien fait revenir plusieurs fois juste pour réunir trois ou quatre papiers qui certifiaient que je n’avais aucun revenu. J’étais encore un frais étudiant sorti de l’école, et j’étais plongé dans un univers où les gens se fringuent on ne sait où, avec on ne sait quoi, se lavent une fois par semaine et puent la plupart du temps. Ouais, c’était marrant quelque part. C’était ce que tous les autres, tous ceux qui vivent, semblent vouloir ne même pas vouloir imaginer.
C’était rien. J’entrais dans le rien, dans l’inconnu, et penser aux gens normaux qui semblent s’intéresser parfois en s’immisçant dans des manifestations diverses pour le chômage ou les exclus me faisait sourire : ils pouvaient s’imaginer, ils pouvaient continuer, jamais ils ne sauraient ce que c’était. Ouais, ça me faisait sourire. Pourtant, à force, j’étouffais, j’avais du mal à respirer. J’étais vraisemblablement dans la merde, et les bourges que je croisais tous les jours, eux, jamais ils n’auraient la moindre intelligence de se l’imaginer.

Et ces putains de bâtards, cette putain d’administration ! Tu crois qu’il suffit de ramener trois ou quatre papiers, d’en remplir un ou deux autres, pour que le fric, ce pauvre fric, il te tombe sous le nez ? Ouais, sois patient, attend un peu. On te le donne deux ou trois mois plus tard, et en attendant, tu peux toujours crever. Ah ! tu peux toujours demander une « aide exceptionnelle » (ils ont créée ça, chouette, non ?), de l’argent qu’on distribue généreusement et on ne sait comment aux gens qui sont réellement, mais vraiment réellement, dans le besoin. Ils sont gentils d’avoir créé ça ! Ils sont vraiment gentils : ils mettent un mois à te filer un bon qui dit que tu as droit à recevoir un peu de liquide, en toute urgence, dans un bureau à l’autre bout de la ville. Merci, super ! Tu fais encore la queue pour le compte, parmi ces gens sans papiers, sans travail vêtus comme des clochards et qui puent. Ah oui, pour cela ils puent, ils puent surtout dans votre tête. Et tu fais la queue pour être reçu au final par des gens dont tu te demandes où ils ont pu être élevés, parce que la politesse c’est pas une de leurs qualités. On dirait que ça les emmerde de venir au secours de gens dans la merde, alors que eux, quand ils rentrent chez eux, ils ont de quoi nourrir leur famille et accessoirement, de temps en temps, tirer un petit coup histoire d’entretenir. Ouais, ça m’amusait de les imaginer ces putains de nanas désagréables en nous accueillant se faire baiser une fois de temps en temps par leur mari cadre supérieur et à quatre pattes, et à la rigueur se faire sodomiser, parce que c’est sale, parce qu’on dit que c’est sale, mais parce qu’on dit aussi que la plupart de ces salopes elles aiment ça ! Vas-y, gouttes-y et tu verras, tu aimeras ! Leur petite gueule bordée de lunettes, leur petite gueule désagréable, ouais, ça me faisait penser à ça.
J’ai encore plus halluciné quand, généreusement, avec du fric qui venait d’on ne sait où, on m’a offert généreusement 300 balles pour payer un loyer de 800. J’ai remercié évidemment, conscient qu’on me venait généreusement en aide, que le gouvernement était gentil de faire tout ce qu’il pouvait comme ça, pour moi, en me filant du fric que j’aurais même pas dû gagner de ma sueur. J’étais content, avec 300 balles j’étais sauvé ! Qu’ils aillent donc se faire foutre, et qu’ils se fassent enculer une fois de temps en temps juste pour se donner l’illusion qu’ils ont encore une vie, une vie sexuelle, leur vie, juste leur vie. Moi, je pouvais toujours me branler, mais avec ces 300 balles, y’avait, après bouffer, même pas de quoi se laver.

J’étais content tout de même, j’étais vivant ! Je savais qu’on allait s’occuper de moi ! J’allais à l’ANPE, donc, parfois, mais surtout tout de même le matin, à l’ouverture, histoire de savoir si par hasard on avait du boulot pour moi et être le premier à le récolter. Evidemment, comme vous pourriez le penser à ma place, vous qui avez assez d’argent pour vivre bien plus que correctement, j’avais bien tenté de m’inscrire dans les boîtes d’intérim ! Ouais, je cherchais du boulot après tout ! Ouais, mais ces bâtards, il fallait qu’on ait au moins un an d’expérience pour au moins voir notre nom apparaître au bas de leurs listes ! Vas-y, je sortais de la fac, comment voulais-tu que j’en ai de l’expérience ?

Remarques, moi je m’en foutais ! Je faisais parti de ces gens que tu crois nombreux et qui profitent de la société ! Ouais, tu sais, comme ces Arabes que t’aimes pas, que tu imagines faire des millions de gosses et agrandir le trou de la sécu. J’avais un copain Arabe qui cherchait du boulot aussi, ouais, et je ne te dirai pas comment on m’accueillait à chaque fois chez lui et comment on m’offrait généreusement, et bien, à bouffer ! Ouais, et je ne te dirai pas qui est civilisé dans l’histoire, t’es sans doute pas assez intelligent pour seulement te l’imaginer !

Bref, parcourir les putains de tableaux d’annonces de boulots et faire la queue ensuite pour de plus amples informations, ça me faisait sourire aussi. Pourtant, j’hallucinais à chaque fois d’y découvrir autant de monde ! C’est dingue comme ils sont nombreux dans la lie de la société à squatter tous les jours les putains de sièges de l’ANPE en attendant qu’on leur refile une putain d’adresse où de toute façon quand t’écriras ils te répondront « merde » ! Ouais, dingue !
Et ça m’a vite agacé ! Parce que faire la queue une demi-heure pour être reçu par une personne désagréable – y’a des gens qui sont payés pour être désagréables – et les entendre te dire que de toute façon y’a rien pour toi ! Réfléchi cinq minutes ! Au lieu de faire des études, amuse-toi plutôt à foutre le feu aux mairies et toutes autres administrations, au moins tu ne perdras pas ton temps en conneries, parce que les études ça ne semble même pas suffire. Il leur faut de l’expérience, et tu vois, je n’ai pas de recettes miracles pour ça ! Peut-être faut-il songer à se faire enculer par un patron un peu pédé, mais j’en suis même pas sûr !

Ouais, ça m’a vite agacé tout ça ! Fallait bien trouver autre chose, sinon c’était la mort !

 

Et tu crèches où ?

Ouais, j’avais pas encore parlé de ça ! En effet, j’étais dans la merde aussi de ce point de vue là. On dit souvent qu’un problème n’arrive jamais seul… j’ai souvent expérimenté ça !
Bref, j’habitais dans un studio d’une résidence d’étudiants au début de cette histoire. J’habitais en fait là-bas depuis 5 ans. C’était dans un quartier sympa. Le temps de toutes ces années, j’avais fini par y connaître tout le monde. Je m’y sentais bien, c’était chouette, j’avais vraiment l’impression d’être chez moi.
Pour avoir un appart là-bas, tu devais remplir un dossier qu’était analysé et alors on te donnait les clés ou pas. Fallait être étudiant bien sûr, et disons qu’à priori, ça se décidait sur critères sociaux, mais j’y ai souvent vu des guignols qu’auraient rien eu à y faire. Leurs parents avaient sûrement de quoi leur payer un appart en plein centre ville, et je me demandais ce qu’ils foutaient là : le piston, c’est tout. Vaux mieux passer là dessus !
Quand on entrait là-dedans, on signait un contrat de location d’une durée d’un an, période qui allait du 1er octobre au 30 septembre de l’année suivante. Tu pouvais re-signer si tu voulais et si c’était faisable. Moi, terminant mes études, j’aurais dû larguer le studio et trouver autre chose ailleurs.
Ouais, trouver quelque chose ailleurs1 ! Ça me faisait sourire . Ça impliquait avoir de quoi payer une caution et avancer au minimum deux mois de loyer : en gros, presque une plaque ! Où voulais-tu que je trouve cet argent-là ! C’était matériellement impossible. J’allais donc me retrouver à la rue et ça me faisait déjà moins sourire.
Ouais, matériellement, c’était impossible, y’avait pas de solutions.
Evidemment, j’aurais pu me faire héberger chez des copains, mais je n’y tenais pas du tout. Tout d’abord, j’ai ma fierté, je devais me démerder par moi-même. Et puis j’avais besoin de ma solitude, de me sentir chez moi. J’aurais jamais supporté de me prendre perpétuellement pour un invité.

Que me restait-il ? Réfléchi pas, pas grand-chose ! J’ai tout de même trouvé une petite solution provisoire. Je suis allé personnellement, moi tout seul, rencontrer la directrice des résidences d’étudiants elle-même ! Si je devais m’adresser à quelqu’un, y’avait qu’à la tête que ça pouvait marcher. Sinon, j’aurais dû me soumettre encore à l’horrible machine compliquée et lambineuse qu’est tout type d’administration, et aujourd’hui j’y serai encore !
La directrice, c’est quelqu’un de sympa. Je la remercie encore. En plus d’être charmante, elle était compréhensive. Faudrait qu’il y ait des gens comme elle à toutes les têtes des putains d’administrations, et tout tournerait mieux ! Parce que je lui ai expliqué mon cas, et parce qu’elle m’a écouté ! Ouais, elle a été très compréhensive ! J’étais plus étudiant, mais elle m’a permis de rester tout de même quelques mois, jusqu’à la fin de l’année, dans la résidence où j’étais encore. Et ça, c’était vraiment super !


 

1 J’allais finir par me décoller la mâchoire à sourire ainsi !!!

 

Plonger dans la bouteille !

J’étais pas à la rue, cool ! Mais c’était juste provisoire !
Tu sais, j’ai jamais eu trop tendance à déprimer. C’était pas mon truc. Mais même si j’étais tranquille quelques mois pour mon appart, j’étais toujours pas sorti de l’auberge.

Ok, je faisais pas réellement au maximum les efforts nécessaires pour trouver un emploi. Mais je réussissais tout de même parfois à décrocher un rendez-vous, un entretien à la con avec un guignol qui finissait toujours par me dire qu’on allait examiner ma candidature et qu’on me rappellerait.
Au départ, j’ai attendu près du téléphone, levé tôt, tout comme il faut. Mais tout ce que je recevais, c’était une lettre, quand j’en recevais au moins une (parce qu’il y en a, et la plupart, qui ne se donnent même pas la peine de te répondre !), qui me disait qu’on s’excusait parce que je ne correspondais pas au mieux au profil du poste. Ça me faisait sourire, ouais.

Ouais, je souriais. J’avais beau faire l’effort de rester gai, tout ça se passait dans la tête. J’avais beau éviter d’y penser, ça tournait tout de même pas très rond.

Ouais, dans la journée, ça pouvait aller. Je réussissais à m’occuper l’esprit, je me baladais, je voyais du monde. Mais le soir, dès que je me couchais, j’avais beau tenter de vider mon esprit ou tenter de penser à autre chose, ça me frappait toujours le crâne comme une sale rengaine. Y’avait rien à faire, j’angoissais les jours passants, les jours passants avec leur uniformité emmerdante à la longue, et j’avais de plus en plus de mal à trouver le sommeil. Ça devenait épuisant, ça devenait réellement épuisant les jours passants. Je dormais de moins en moins, je me reposais de moins en moins, et alors que je m’efforçais de conserver le moral dans la journée, c’est le corps qui craquait petit à petit.
Ça se traduisit bizarrement. Bizarrement, j’étais pas trop crevé. A la rigueur, j’avais assez la forme. Ouais, ça se traduisit physiquement, ou plutôt physiologiquement. Au départ, ça n’est venu que le soir, aux moments où je me couchais. Lorsque je commençais à m’endormir, à sombrer dans le demi-sommeil, voilà d’un coup que je me rendais compte que je ne respirais plus alors je me réveillais en sursaut, haletant, cherchant ma respiration. Je devais constamment la penser, l’imaginer, constamment la surveiller. C’était étrange, j’avais réellement l’impression que si je ne la pensais pas, alors mon coeur cessait de battre et c’était la fin.
Je sais que c’est ridicule. La respiration est quelque chose d’inné. Ça se fait tout seul, comme la marche à pieds. Y’a pas besoin de réfléchir à mettre un pied devant l’autre ! Ouais, je sais, mais ça se passait pourtant comme ça.
Ça me donnait une drôle d’impression. J’avais vraiment le sentiment que, si je m’endormais, si je ne pensais pas ma respiration, si je ne l’entraînais pas, j’allais y rester. J’ai passé alors une première nuit blanche.

Le lendemain, pareil. Là, j’étais crevé. J’ai voulu faire la sieste durant l’après-midi, comme j’aimais le faire d’habitude. Mais là, pareil, au moment où j’ai sombré dans le demi-sommeil, je me suis encore réveillé en sursaut, haletant, forçant ma respiration.
Je sais pas si tu peux t’imaginer ce que c’est. Tu es seul, chez toi, et bien que tu ne sois pas trop idiot, bien que tu saches que tout cela est ridicule, tu finis par prendre peur de définitivement y rester. Ouais, je sais, ça me faisait sourire quand je me sentais relativement bien. Mais le problème, c’était que ça devenait de pire en pire. De pire en pire, j’avais l’impression d’étouffer, de devoir forcer mon cœur à respirer. De plus en plus, j’avais l’impression qu’il allait cesser de battre si je ne le forçais pas à battre et me pousser à absorber des bouffées d’air. J’en venais même à ralentir mes consommations de cigarettes à presque rien. Je passais mon temps, allongé sur le dos, à même le sol, à penser à respirer. Parce que parfois, quand je faisais quelques mouvements que ce soi, j’avais la tête qui tournait, j’avais l’impression que j’allais tomber dans les pommes et crever là.
Je peux pas dire que j’ai réellement déjà eu peur de ma mort. Non, ça ne m’a jamais plus effrayé que nécessaire. J’ai compris pourquoi ! J’ai toujours voulu décider moi-même du moment où je déciderai de mettre un terme à ma vie. Alors je voulais pas laisser ma putain de situation trancher à ma place.

Ouais, j’avais vraiment peur. J’ai vraiment eu l’impression, plusieurs fois, que j’allais y rester.
Tu penses bien, je suis allé voir un médecin. J’aurais dû faire des études de médecine. Ces gens-là sont assis tranquillement sur leur fauteuil, derrière leur bureau, à écouter tes conneries et accessoirement à prendre ta tension, te cracher quelques mots sur un papier et te renvoyer au bout d’un quart d’heure avec une ordonnance sensée être rassurante. Remarques, ils connaissent leur boulot, ou plutôt, on préfère s’en rassurer. Bref, d’après lui il connaissait bien ça : je manquais manifestement de repos (tu m’étonnes, c’était pas compliqué, j’avais pas dormi depuis trois jours), et une petite cure de magnésium pendant deux semaines allait arranger ça.
Vas-y, prends du magnésium trois fois par jour, en attendant deux semaines pour pouvoir dormir tranquillement. Parce que le problème n’était pas réglé : je ne dormais toujours pas !

J’ai trouvé le remède moi-même, et c’était pas compliqué.
Avec mes pôtes, on faisait régulièrement la fête, au moins deux ou trois fois par semaines. Déjà, je les remercie d’avoir passé quelques fois la nuit chez moi, à surveiller mon sommeil, à surveiller mon entrée dans le sommeil, histoire de voir si par hasard j’allais pas cesser d’un coup de respirer et à ce moment me réveiller. Ouais, ils l’ont fait, comme des copains qui rendent service à d’autres copains sans rien en retour. Ouais, mais moi je ne pouvais pas leur demander ça tous les jours. Ils avaient leur vie à eux. Ceci dit, merci encore. C’était très cool de leur part.
J’en étais où ! Ah oui, à nos petites fêtes. On n’avait souvent quelque chose à fêter, et même quand on n’avait rien à fêter, on fêtait juste le fait d’être ensemble ! On se retrouvait souvent chez l’un ou chez l’autre à se taper une petite bouffe bien arrosée (parce qu’on était de bons vivants), puis on se finissait en boîte ou dans un café, ou dans un café puis en boîte, comme ça, deux ou trois fois par semaines. Moi, en tout cas, j’aimais ça, et puis ça me changeait les idées. Mais le fait est que quand je me couchais bourré, j’avais aucun mal à trouver le sommeil. Normal, non ? Ouais, tout à fait normal ! Je tombais sur mon lit, et pouf ! Je dormais !

Alors tout vient de là. Puisqu’il me fallait juste être bourré pour enfin dormir, parce que je ne sais pas si tu peux t’imaginer ce que c’est de passer nuits après nuits sans pouvoir dormir, il fallait juste que je m’arrange pour être saoul et sombrer tout seul dans le sommeil. Ouais, c’était pas compliqué : je passais ma soirée à me bourrer la gueule et je tombais sur mon lit quand je n’en pouvais plus.
Comme le hasard ne fait jamais rien au hasard, ça a été aussi l’époque où j’ai rencontré une nana tout ce qu’il y a d’attachant, moi, éternel célibataire, où j’ai fini par réellement m’attacher, et où je me suis pris un gros râteau sur la gueule. Boire m’a aidé. Ouais, ça m’a aidé. Et comme ça, calmement, immanquablement, j’ai picolé, de jour en jour j’ai picolé, j’ai picolé de plus en plus, jusqu’à ne plus pouvoir m’en passer. Tu sais, au début, c’était pas très grave. Je m’enfonçais un litre, un litre et demi de bière et la fatigue aidant, ça me suffisait. Mais d’une bouteille de 33 (c’était à ça que je picolais), je suis passé à deux, à trois… avec un peu de temps tout de même. Et je dois dire que ça ne me déplaisait pas. Ça m’évitait en plus de déprimer, et puis j’aimais l’état dans lequel ça me mettait. En plus du shit auquel on touchait assez régulièrement, j’aimais aussi m’enivrer d’alcool à plus tenir debout. C’était cool !

 

La quarantaine, je l’aurai !

Ouais, fallait bien trouver quelque chose ! Juste histoire de faire quelque chose !
J’ai rapidement pris l’habitude de me promener. J’adorais me balader à pieds (de toute façon, j’avais pas de voiture !). En plus de mes promenades très matinales que je commençais en passant faire la queue à l’ANPE, j’allais arpenter les rues du centre ville. C’était agréable, même de tout temps, et même si, finalement, je ne parcourais à chaque fois que le même chemin. Souvent aussi, j’allais squatter dans un café où je me sentais bien. A 17 heures, c’était l’happy hour, l’heure à laquelle pour un demi on t’en servait un deuxième gratos. C’était sympa. Je passais mon temps dans ce café en attendant que le temps passe, et accessoirement à… Ouais, parce que mes balades avaient quelque part une petite raison précise, mais ça je l’expliquerai plus tard.

Toutefois, à chaque fois que je sortais de ce café, vers 18 heures, c’était l’heure de pointe, l’heure à laquelle tout le monde sort du boulot et où la circulation est importante. J’aimais bien me trouver à un feu, quand le feu passe au rouge, quand le petit bonhomme passe au vert, et qu’on peut traverser. Y’avait un endroit où je passais tout le temps, où y’avait trois files de bagnoles à attendre que le feu repasse au vert, et où je traversais tranquillement, tranquillement à faire des sourires à de petites chauffeuses qui, après leur boulot, rentraient seules en bagnole pour regagner leur chez elles. Alors je traversais, je traversais tranquillement à leur faire des sourires, et ça m’amusait. Ça m’amusait encore plus quand elles y répondaient, quand elles souriaient à leur tour ces petites conductrices. Je me disais qu’il y avait des gens encore sympas, encore capables de sourire après une journée entière de boulot.
C’est comme ça que je l’ai croisée !

La quarantaine, elle a pas souri. Assise au volant de sa petite Fiat rouge, elle m’a lâché un regard désabusé tout en me suivant des yeux. Ça m’a marqué parce que son visage, son joli petit minois me disait vaguement quelque chose. Ouais, elle ressemblait relativement assez à une nana avec qui j’étais sorti quelques mois quelques années auparavant. Elle aurait pu sortir de ma mémoire aussi sec qu’elle y était entrée, mais en toute une semaine, deux fois encore, au même feu, réglés que nous étions comme du papier à musique, je l’ai encore croisée, lui souriant encore, elle, elle me lâchant encore son bizarre regard désabusé.
Bah ! Cela aurait pu continuer ainsi, ou cela aurait pu cesser, mais moi ça m’amusait, et puis j’avais pas grand chose d’autre à faire que de glander. Alors j’ai continué à m’amuser, j’ai voulu m’amuser à découvrir où elle habitait. C’était simple, c’était juste un jeu intéressant.

Chaque nouveau jour, je la suivais sur son parcours. Je me plaçais à un croisement, je la voyais arriver, et je regardais dans quelle direction elle allait. Le lendemain, j’allais me poster au croisement suivant, et ainsi de suite.
De temps en temps elle m’apercevait. J’ai jamais songé à lui demander ce qu’elle en pensait par la suite. Ça m’aurait sûrement aussi amusé, ça !
Bref, en presque trois semaines, j’ai su où elle habitait. Elle aurait pu vivre en dehors de la ville, et là c’est moi qui me serais fait griller. Mais non, elle habitait une petite maison à deux étages, dans une petite rue d’un coin de la ville.
Elle aurait pu me prendre pour un cinglé, et elle aurait pu peut-être avoir des raisons de le penser et de s’en inquiéter, mais le jour où elle m’a vu posté dans sa rue, le dos contre un mur, sous la pluie, ça l’a fait sourire, ça l’a amusé. J’étais complètement trempé. Tout en sortant de sa voiture et tout en ouvrant la porte de sa petite baraque, elle me regardait et elle me souriait. Elle était pas trop mal foutue pour la quarantaine.

Tout ça m’aurait sans doute complètement désintéressé à la longue. De toute façon, j’avais gagné : je savais où elle habitait, et j’avais réussi à lui décrocher un sourire. Ça me suffisait. Pourtant, j’ai eu un coup de bol extraordinaire un samedi de mi-décembre.

Ce samedi-là, je me baladais dans le centre ville, à arpenter encore les rues à ne rien glander d’autre. Ça sentait déjà les fêtes de Noël, ça préparait déjà des cadeaux de partout, les vitrines étaient déjà enjolivées de guirlandes et de sapins illuminés.
Petite bourge, « la quarantaine » sortit d’un grand magasin, les bras pleins de paquets, et juste au moment où je passais.
On s’est vu tout de suite. Elle s’est arrêtée d’un coup, me regardant arriver. Elle avait un air agacé prononcé, l’air d’en avoir mare de se coltiner les boutiques à préparer les fêtes. Elle m’expliqua quelques minutes plus tard que c’était parce qu’elle était obligée de le faire seule, son mari ayant d’autres choses plus intéressantes à son goût à faire, lui laissant toutes ces corvées. Parce que je me suis arrêté près d’elle, je lui ai dit bonjour comme si on se connaissait, et je lui ai proposé de l’aider à porter ses paquets. Elle a accepté comme si c’était naturel, et je l’ai encore accompagnée à faire deux ou trois boutiques, en lui causant de choses et d’autres, et aussi en lui demandant pourquoi elle avait l’air aussi énervée, parce qu’à ce moment elle me paraissait un peu détendue, et que voyant que j’avais un peu d’ascendants, je pouvais me risquer à jouer les intéressés comme si on se connaissait. Ouais, c’était marrant, on se parlait naturellement comme si on se connaissait.
Puis je l’ai accompagnée à sa voiture, elle m’a remercié puis elle m’a proposé de me ramener. Je me suis dit « ouais ! au moins elle saurait où moi aussi j’habitais ! ». Elle s’est garée devant ma résidence, s’est tournée vers moi, puis m’a tendue la main. Je lui ai serrée comme on se sert la main entre hommes, mais tout en la regardant droit dans les yeux, le temps de quelques secondes, et j’ai fait exprès que cela dure juste un peu trop longtemps, histoire de lui faire comprendre que ça ne s’arrêterait pas uniquement là si elle le désirait. Il y avait quelque chose, je ne savais quoi, mais quelque chose tout de même. Elle, elle avait de beaux yeux bleus. Brune, elle avait un visage mince, légèrement ridé, ce qui lui allait bien. J’ai serré sa main deux secondes de trop, juste exprès. Elle m’a laissé la fixer, puis elle a légèrement rougi et elle s’est détournée.

Deux jours plus tard, j’étais non loin de sa porte. Elle ne pouvait pas me manquer.

 

Tu verras ce que je te ferai !

Elle est venue me saluer d’un sourire léger. Elle m’a demandé ce que je fabriquais là, et j’ai juste répondu que j’étais là pour la voir. Quelques secondes, elle m’a paru un peu étonnée, puis un peu embarrassée, l’air de me dire « vous ne devriez pas ». Ouais, mais j’étais là et fallait faire avec. Elle m’a semblé hésiter quelques secondes, et puis elle m’a invité à prendre un café. Son mari ne rentrerait pas avant 20 heures elle m’a dit, et ses deux enfants étaient chez la belle-mère. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle me lâche ce genre de choses, et elle s’en est sûrement elle-même étonnée. Je l’ai vue encore d’un coup hésiter, paraître vouloir se reprendre, mais elle a soudain ri et elle m’a invité à entrer. Bizarre, hein ? Ça m’a énormément surpris aussi. Mais elle a fait comme si elle recevait juste un ami, et on a parlé de choses et d’autres. En fait, elle m’a posé pleins de questions, sur moi, sur ma vie, ce que je faisais, ce que je voulais faire.
Je ne cessais de la fixer, avec un petit air pervers qu’on m’a déjà avoué. Ça la gênait sûrement, elle avait les joues un peu roses, mais elle me paraissait vouloir faire comme si de rien était. C’était une situation vraiment étrange. J’étais dans la cuisine d’une femme mariée, qui avait deux enfants dont trônait non loin de moi des photos, et je lui parlais comme à une jouvencelle que je venais de rencontrer. Elle, elle faisait comme si elle parlait à une ancienne connaissance, s’étonnant de ce que je lui racontais, s’émouvant légèrement, légèrement compatissante des problèmes que je lui racontais. Et puis 20 heures approcha, le mari allait rentrer avec les deux gosses, alors elle me remercia rapidement en me raccompagnant à la porte, un peu à la hâte.
Étrange ! Juste avant de refermer la porte sur moi, elle plongea ses beaux yeux bleus dans les miens, juste un peu trop longtemps, sans qu’elle le veuille elle-même sans doute, mais je compris que si je me débrouillais bien on ne s’arrêterait pas là. Ça m’a excité tout d’un coup, j’ai trouvé ça hyper excitant, et je bandais presque rien que d’imaginer que je me la tapais.

Je me suis demandé si je devais rejouer le même jeu. Mais je me suis résolu à la faire un peu attendre. J’aurais pu revenir le lendemain, ou le surlendemain, mais c’était peut-être un peu trop.
Je me souviens bien de la nuit qui suivit, j’ai rêvé que je me la prenais sur la table de sa cuisine, là où on avait bu le café. Curieux, j’ai éjaculé en dormant à me réveiller, ce qui ne m’était pas arrivé depuis mes pauvres 15 ans. Mais ça avait été vraiment très bon, un rêve érotique comme je n’en avais plus fait depuis longtemps. Songeur, après m’être nettoyé et changé, je me suis imaginé la baiser dans tous les endroits de sa baraque, où elle avait dû se faire tringler par son mari. Ouais, excitant à me branler jusqu’au bout de la nuit !

J’ai pas eu besoin d’aller jouer les plantons devant chez elle le sur-surlendemain. En rentrant le lendemain du café où j’allais me siroter une bière comme de temps en temps, j’ai aperçu sa voiture garée juste devant ma résidence. Quand elle me vit, elle sortit lentement du véhicule, se dirigea vers moi, et m’avoua d’une voix un peu timide qu’il fallait qu’elle me parle.
Alors, alors je l’ai invitée à me suivre chez moi. Je me suis excusé du bordel qu’il y avait, mais je l’ai prévenu qu’on allait bientôt me foutre à la porte et que je préparai mon déménagement. J’ai vu dans son regard une légère surprise, mêlée d’une sorte de regret un peu contenu.
Elle n’avait pas l’air d’avoir la pêche, un peu agitée, un peu énervée. Je lui ai offert un verre d’eau, c’était tout ce que j’avais, et alors qu’elle s’assit sur une chaise, je me suis installé en face d’elle, à moitié allongé sur mon lit, lui souriant de toutes mes dents.
Mais elle fronça les sourcils, me regarda fixement et commença à me parler d’un air décidé.
« Nous ne devons plus nous voir ! dit-elle fermement. »
Ça m’a fait perdre un peu mon sourire, mais c’était juste pour moi une manière de sourire d’une autre manière. On avait juste fait que boire un café elle est moi, et elle me parlait comme si elle allait me larguer. Je me suis dit que dans sa jolie petite tête elle avait déjà dû imaginer franchir le pas, un certain pas, et qu’elle se comportait comme si elle avait déjà trompé son mari. Ouais, elle avait une certaine détresse dans le regard, j’aurais pas été loin de la pousser là où je voulais l’emmener.
« Nous devons cesser de nous rencontrer, vous devez cesser de me suivre et de m’attendre devant chez moi ! elle continua. »
Elle me vouvoyait maintenant !
« Pourquoi ? je l’ai interrogé d’une voix ferme, désirant lui faire perdre son assurance, la faire craquer. »
Ça fonctionna à merveille.
« Mais parce que ! Parce que c’est pas bien ! Il ne faut pas !
– Mais nous n’avons rien fait !
– Mais… mais… elle rougit en ne sachant plus quoi dire. »
J’avais gagné, je la tenais. Si je m’y prenais bien, je pourrais l’emmener plus loin.
Elle ne sut plus quoi me dire, comprenant peut-être que j’étais en train de mettre au grand jour la moindre de ses pensées.
Elle fit mine de vouloir se retirer, mais je me suis levé rapidement et je l’ai retenue pas le bras.
« Attendez ! j’ai ordonné d’une voix ferme. Asseyez-vous ! »
J’ai pris à mon tour une chaise qui traînait dans un coin et je me suis installé juste en face d’elle, juste tout près.
Elle avait l’air en profonde détresse, baissant la tête, la relevant de temps en temps très embarrassée, très intimidée. La fermeté, ouais, la fermeté la ferait craquer.
« Racontez-moi tout ! j’ai encore ordonné. Racontez-moi ce qui ne va pas !
– Rien ! elle a répondu un peu agacée.
– Allez-y ! j’ai ajouté d’une voix plus douce. Ça ne vous fera pas de mal, au contraire !
Puis j’ai posé une main sur son épaule pour la pousser légèrement à parler. »

J’aurai jamais pu imaginer qu’une femme me raconte ce genre de choses un jour. Mais je me la suis représenté tout de suite comme une pauvre petite femme mariée et malheureuse, vraiment malheureuse, qui ne trouve la force de rester avec son mari que par responsabilité, par devoir. Ouais, c’était tout à fait ça.

 

Tu ne te marieras point, jamais !

Ils s’étaient mariés relativement tard d’après ce que j’ai compris, la trentaine démarrée. Cela avait été super au départ, cela avait était parfait, comme pour une grande majorité de ce genre d’histoires. Puis le premier enfant était venu, et les choses avaient commencé à se compliquer. Avec le deuxième, tout c’était définitivement envenimé. Ouais, elle pensait que ça venait de ça, mais il y avait aussi le fait que la vie à deux, c’est jamais toujours très… confortable.
Elle me dit que ça avait commencé à la dégoutter de vivre avec lui, de dormir à ses côtés. Quand il avait commencé à péter au lit, en plus de partout ailleurs dans la baraque et même en compagnie d’amis qui venaient dîner, elle me raconta que ce fut le début de la fin. C’était étrange qu’une femme avoue ce genre de choses à un jeune homme qu’elle ne connassait pas. J’avais l’impression de tenir le rôle d’un psy. Mais je percevais son désarroi, sa tristesse, ses rêves évanouis de vie en commun qu’elle avait ratée et qu’il était trop tard pour recommencer. Elle m’a dit crûment ensuite que ça avait été le comble quand il s’était mis à péter tout en s’acharnant à la tringler. Elle m’a dit qu’il lui faisait mal, qu’elle ne mouillait presque plus, que c’était presque un viol, que c’était juste par devoir qu’elle se laissait baiser. Elle m’a dit que pour moins avoir mal, pour tenter tout de même d’être excitée, elle devait s’imaginer tout un tas de trucs débiles. Elle était même obligée de se caresser quand elle savait qu’il allait la rejoindre au lit, mais même ça, ça ne fonctionnait même pas. Elle m’a dit qu’elle redoutait ces premiers samedis du mois, et les jours qui suivaient, quand sur une chaîne à la télé on passait un film porno après minuit. Elle m’a dit qu’il regardait ça, allongé sur le canapé, une bière à la main, et qu’il se ramenait la queue tendue entre les jambes, lâchait un gros rôt, que même un film porno ne lui donnait même pas la moindre imagination, et qu’il tirait alors les draps, lui écartait les jambes, puis la pénétrait en hennissant comme un cheval. Heureusement que ça ne durait pas bien longtemps, elle disait. Elle avait jamais jouie. Après, elle se levait et allait se nettoyer. Parfois, elle gerbait même en silence la tête penchée sur les WC. Et heureusement que quand elle revenait il dormait déjà. Alors elle prenait un oreiller, puis elle allait s’allonger près du lit de son petit dernier. Elle s’endormait là les larmes aux yeux, jusqu’au petit matin, se réveillant en sursaut dès qu’elle entendait son mari tousser. Alors elle descendait dans la cuisine et lui préparait son petit déjeuné. C’était sa vie.

Elle finit de me raconter tout ça les yeux en larmes, se cachant derrière ses mains. J’étais complètement retourné que l’on m’ait avoué ce genre de choses, et je n’imaginais le mariage que comme une horrible vie que jamais je ne voudrai partager. Non alors ! même si c’était moi le mec, jamais je ne me marierai ! Jamais je ne voudrai, jamais je ne pourrai être un mari comme lui ! Mais qui sait comment je me comporterais, qui sait ? L’habitude, les gosses, et tout ça ! Beurk !

Alors je l’ai serrée dans mes bras tendrement, poignardé à chacun de ses sanglots. J’ai attendu, elle dans mes bras, qu’elle se calme enfin pour tenter de la réconforter. J’avais pas grand chose à dire, mais la conservant la tête contre mon épaule, je lui caressais les cheveux, je lui disais des mots doux.
Elle s’est calmée définitivement, elle a définitivement cessé de pleurer. Elle a relevé la tête, s’est séparée légèrement de mon étreinte, m’a regardé tristement, et je lui ai essuyé les yeux. Juste ça. Elle a finit par sourire, doucement. Mon pousse parcourait lentement, effleurait lentement son visage. Mon index s’est aventuré sur ses lèvres, les a caressées, et elle a pris ma main. Elle l’a serrée, doucement aussi, l’a embrassée, déposant de légers baisers, puis je l’ai à nouveau pris dans mes bras.
Il allait être 20 heures, elle devait rentrer. Je l’ai prévenue gentiment qu’elle devait partir, que son mari aller arriver, alors elle m’a remercié, puis elle s’est retirée. J’avais plus envie de… de… je ne voulais pas abuser d’elle.

* * *

Le lendemain, à la même heure, elle était de nouveau garée devant chez moi. Elle s’est approchée de moi timidement, je l’ai accueillie tout aussi timidement, puis nous sommes montés chez moi.
Là-haut, sans un mot, elle m’a enlacé, elle a déposé de tendres petits baisers sur mes joues, sur mon nez, sur mes yeux clos, puis sur mes lèvres. Et puis elle m’a déshabillé, sans un mot, serrant mon sexe entre ses doigts, me souriant. Elle s’est dévêtue elle aussi, doucement.
Alors je l’ai amenée sur mon lit, elle s’y est allongée comme si c’était la première fois, je me suis assis auprès d’elle. Et puis je l’ai caressé, tendrement, le visage d’abord, puis les seins, puis les jambes, du bout des doigts, remontant lentement, la sentant frémir, vibrer, vivre.
Je lui ai embrassé son visage, ses joues, son nez, ses yeux clos puis ses lèvres. Je lui ai embrassé les seins, j’ai mordillé tendrement, je suis descendu doucement, j’ai plongé ma langue entre ses lèvres. Et quand elle m’a supplié de venir en elle, je m’y suis glissé fiévreusement, fiévreusement, ouais, mais immensément doucement.

Les jours qui suivirent, elle arrivait chez moi après son boulot, tous les soirs. Elle rayonnait. Lentement, à la délicatesse s’est substitué progressivement la fougue, ce qu’on appelle vulgairement la passion. Parce que ça avait quelque chose de vulgaire, on baisait comme des fous, comme des bêtes. C’était vraiment bandant.
Je pensais que cette joie allait être de courte durée, comme dans toutes ces histoires. Et puis fin décembre, on allait me virer.

 

Coup de bol, fallait ça !

J’avais vraiment eu de la chance de l’avoir rencontrée, d’avoir insisté. Déjà, j’avais jamais vécu une sexualité si… si… aussi folle. Et elle avait le cœur tendre, elle était la générosité toute personnifiée.

J’aurai pu songer crécher chez des copains en attendant autre chose, même si, comme je l’ai déjà raconté, ça m’ennuyait plutôt. Mais elle avait une meilleure idée : une de ses amies partait quatre mois avec son mec, et elle lui laissait les clés de l’appartement pour qu’elle y vienne de temps en temps nourrir le chat. Tu peux pas savoir ce que ça m’énervait que le chat nous regarde quand on baisait. Parce que pour ça, on baisait, on baisait le midi, on baisait le soir, et même parfois elle me rejoignait la nuit.

J’avais éparpillé toutes mes affaires chez mes pôtes, et je me la coulais douce chez l’amie à scotcher sur le canapé, bien au chaud pendant l’hiver si froid, pendant les fêtes. Pendant ce temps-là, elle, elle réfléchissait. Peu avant la fin des deux semaines, elle débarqua toute souriante.

Elle mettait du fric de côté depuis très longtemps elle me dit. Quand elle avait eu de l’avancement, en fait, elle l’avait pas dit à son mari. Alors elle avait un bon petit pécule qui dormait tranquillement dans un coin, sur un compte en banque. Elle me proposa tout naturellement de nous louer un petit nid d’amour elle me dit. Un « petit nid d’amour » ! Même si je l’aimais bien, ça a commencé à m’effrayer. Mais j’avais rien de mieux à proposer, et puis j’aurai une adresse, un téléphone, le RMI toujours et ça me permettrait de continuer à glander.

Ouais, parce que j’adorais glander. Mais je l’ai déjà dit, ça !
Je passais mes journées à ne rien faire, toujours. Accessoirement, je les agrémentais d’un petit sourire en faisant la queue pour rien à l’ANPE le matin, puis je rentrais pour midi. Je me prenais une petite douche, et j’attendais à poil qu’elle se ramène avec un repas tout prêt. On bouffait, on adorait bouffer à la manière de 9 semaines et demie, comme des porcs en somme, tous les deux à poils. Elle finissait par me sucer, et je la prenais dans tous les sens. J’ai même fini un jour par lui faire accepter de me laisser la sodomiser. Elle redoutait un peu la chose, mais avec un peu de vaseline, un petit film porno à la clé histoire de lui montrer, elle s’est trouvée bien chaude et c’est comme ça qu’elle a apprécié.
On m’a dit une fois que beaucoup de femmes aiment la sodomie, mais que la plupart ne le savent même pas, faute d’avoir essayé. Elle, elle a adoré ça. Elle hurlait comme une malade tellement elle aimait ça. C’est peut-être aussi ça qui l’a réconciliée un peu avec son mari aussi. Parce qu’entre toutes les autres choses que je lui avais fait découvrir (pas modeste pour deux sous !), elle avait un peu enseigné aussi son mari.
Bref, j’en étais arrivé au moment où on baisait pendant le midi. Bref, donc, après m’être bien fatigué, pendant qu’elle retournait bosser, moi, je me reposais. Je regardais un petit peu la télé, et puis je faisais la sieste. Je me réveillais vers 16 heures, 16 heures 30, je me redouchais, puis je retournais faire un petit tour, toujours et au cas où… mais j’ai déjà dit que je raconterai plus tard.

Et puis, le temps s’est écoulé, tranquillement le printemps est arrivé, tranquillement j’ai commencé à me lasser. Elle aussi, d’ailleurs. Elle passait de moins en moins, je sentais la fin, la rue, je picolais de plus en plus. Et quand j’étais bourré, au moins, ça me donnait une bonne raison de ne pas baiser. Alors elle repartait en colère et je la voyais pas pendant deux jours. Ça ne me dérangeait pas trop, j’avais du temps pour moi, pour glander, pour rêver, j’avais du temps pour continuer à picoler. Tout l’argent de mon RMI y passait. Mais c’était pas bien grave, ça m’occupait l’esprit.

Elle en a eu vraiment mare, et moi aussi, juste au début de l’été. On s’est engueulé une fois pour toutes, une fois pour toutes parce qu’on en avait assez, parce que l’habitude nous avait tués, et on s’est séparé. Je me suis retrouvé à la rue.

 

Heureusement, il faisait beau !

Ouais, heureusement, il faisait beau ! Parce que j’ai pas osé aller voir mes amis. Je ne voulais pas de leur pitié. Parce que bizarrement, c’est comme si je me suis réveillé. Je me suis regardé dans la glace d’une vitrine un jour, et j’avais changé. J’avais vraiment changé. A force de me bourrer la gueule tous les jours, et même plusieurs fois par jour, j’avais irrémédiablement changé. Mais je m’en foutais.
J’avais pas besoin de pitié je l’ai déjà dit. De toute façon, tous mes copains quittaient la ville pendant les vacances. Soit ils rentraient chez leurs parents, soit ils travaillaient, soit ils partaient en vacances. De toute façon, ça faisait des mois que je ne les voyais plus. Les dernières fois, je ne les avais rencontrés que par hasard. Et faute d’avoir pas passé du temps avec eux depuis un bout de temps, on n’avait pas grand-chose à se dire.

Ouais, j’avais changé. J’étais là, à me balader avec mon sac de fringues sous le bras, et je ne savais pas trop quoi faire. J’étais pas réellement dérouté, c’était l’été, il faisait beau, tout ça n’avait pas vraiment d’importance. Je me foutais de tout.
Alors j’ai passé quelques nuits à la belle étoile, une bouteille à la main, et c’était après tout très agréable. Je me laissais vivre, tranquillement, me trouvant un petit coin à l’ombre dans la journée pour roupiller, et le reste du temps, je cuvais. J’avais toujours sur moi ma carte de crédit, alors tu penses bien que ça me suffisait. Et puis je ne voulais surtout pas penser. J’avais toujours cette sale habitude de repousser de ma tête tout ce qui m’emmerdait, et à l’instant présent je repoussais ce que je devenais, alors je m’en foutais. De toute façon, j’étais tellement bourré à chaque fois que je ne pouvais même pas penser.

Je te passerai l’état dans lequel physiquement j’étais.

Ouais, c’était étrange. Mais heureusement, il faisait beau.

 

S.D.F.

Tu sais, dans chaque milieu où tu vis, dans chaque état où tu es, y’a toujours un moyen de se débrouiller.
Un jour, j’ai rencontré une bande de mecs sympa qui squattaient à droite et à gauche. C’était des mecs cools. Eux, ils passaient leur temps à fumer ce qui, dans l’état dans lequel j’étais, me convenait assez. Avec eux, je jouais avec ma carte de crédit, et on se payait de quoi se taper des joins toute la journée pendant deux ou trois jours. Alors ils m’ont adopté.
Evidemment, on n’a pas pu jouer à cela longtemps. Au bout de la troisième fois, la machine a bouffé ma carte. Comme on était complètement cassé, on a éclaté de rire, et on est parti glander ailleurs comme si de rien était.

J’ai perdu pas mal de kilos à cette époque-là. C’est vrai, je bouffais pas beaucoup. Mais de toute façon, il faisait tellement chaud dans la journée que j’avais pas vraiment envie de bouffer.

Avec mes nouveaux pôtes, on se séparait tout en début de matinée, et on se retrouvait le soir dans un appart quelconque où on squattait. Chacun de nous se débrouillait pour ramener un peu de fric, quelque chose à bouffer, on achetait du matos et on fumait toute la nuit. Je continuais un peu à boire aussi, quand je pouvais. Chacun avait son truc pour trouver de l’argent, ouais, et on se foutait du reste. C’était une vie facile, une vie bien tranquille.

Moi, tous les matins, en quittant les autres, j’allais me faire tout beau aux bains douches de la ville. C’était important de conserver un minimum de propreté, j’aurais pas pu vivre sans. J’allais me garer pas loin de l’entrée des hôpitaux, là où ça circulait bien, je m’asseyais dans un coin à l’ombre, et je roupillais à moitié.
En général, ça marchait bien. J’avais juste qu’à sourire, parce que je souriais à tous les gens qui passaient, et presque spontanément, ces gens me laissaient une petite pièce et je les remerciais. Ouais, ça marchait pas trop mal. Alors en fin de journée, j’allais m’acheter un petit truc à bouffer, accessoirement une petite bouteille de picrate qui piquait bien, puis je rejoignais les autres avec ce qu’il me restait. Mais je commençais à en avoir assez de leur compagnie. Ils commençaient à m’agacer, ils étaient un peu limités.

Les jours passant, je les vis de moins en moins, et je ne les vis plus du tout. J’étais mieux tout seul, et l’argent que je gagnais, il me suffisait largement pour vivre tranquillement. J’avais vraiment pas besoin de grand chose, juste un truc à grignoter, et de quoi boire, allongé tranquillement sur un gazon, à picoler en regardant les étoiles.

Ouais, c’était une vie qui me plaisait. J’étais bien, j’étais tranquille, cool.

Puis l’été s’effaça.

Puis l’automne apparut lentement, avec ses jours pluvieux.

Je m’étais trouvé un vieux garage dans un coin un peu reculé, où je pouvais m’abriter. De temps en temps, je lisais le journal, un journal que je trouvais dans une poubelle ou que je piquais dans un café, je lisais à la lumière de bougies que j’allais emprunter dans les églises, puis je m’endormais, toujours une bouteille à la main, dans un tas de cartons.

Puis l’automne s’effaça.

Puis l’hiver apparut lentement, avec ses jours de plus en plus froids.

Je traînais toujours mon sac avec moi, ou je le planquais dans le vieux garage, alors à la rigueur j’avais un pull et j’avais pas trop froid. En plus, j’avais dégoté une petite couverture, et dans mon garage, en compagnie des rats, je vivotais tranquillement. Je m’en foutais, je crois que de toute façon j’avais tellement grillé de neurones que j’étais plus trop capable de penser.
Mais je vivais, et je m’en foutais.

 

Fait de beaux rêves !

Ouais, une fois, j’ai fait un beau rêve. Je l’avais aperçue rapidement dans la journée. Et la nuit suivante, j’en avais rêvé.

Je l’avais rencontrée il y a déjà pas mal d’années, 5 ans je crois. Elle était sortie de ma mémoire alors, depuis mes déboires, et je croyais bien l’avoir oubliée. Mais non, avec un rêve, elle resurgissait.
Je l’avais croisée en descendant d’un bus, en revenant de la fac, je ne sais plus trop quel mois c’était. Mais tout de suite, j’avais accroché. Elle m’avait tapé dans l’il, elle s’était logée comme une balle dans ma tête et jamais plus, au grand jamais, elle ne l’avait quittée.
Je me baladais souvent en ville, alors, à cette époque-là. Ouais, je me rappelle, il faisait souvent beau à cette époque-là, et tout le monde, les jeunes surtout, tout ça arpentait les rues. Je la croisais souvent alors, et alors, étrangement, à chaque fois j’en avais le souffle coupé.
Ouais, au départ, j’avais bien tenté de lui parler. J’étais allé la voir, je me souviens de ce moment comme si c’était hier, j’avais voulu lui parler, mais elle ne m’avait pas écouté. Elle m’avait pris pour un guignol, et puis elle m’avait envoyé balader.
Oh, j’aurais pu oublier tout ça, et je ne sais pas trop ce qui m’en a empêché. Mais le fait est que je la rencontrais presque tous les jours, que son visage, que son regard, que ses yeux me subjuguaient et que je ne pouvais y résister.
Ouais, et je n’ai plus jamais su lui parler. Je crois qu’elle m’intimidait tellement, elle me troublait tellement, et elle m’avait tellement… froissé que je n’osais, que je n’ai plus jamais osé lui parler de nouveau.

Pourtant, je continuais à la croiser souvent. C’était l’unique raison de mes balades perpétuelles en villes que je ne voulais, quelques paragraphes avant, expliquer. Ouais, elle était l’unique raison de ses balades. Je ne voulais juste, à chaque fois, qu’avoir le bonheur, la chance, de la croiser. Je nourrissais pour elle une admiration sans borne, un idéal, une sorte de rêve qui m’aidait. Ouais, je savais que ce n’était qu’une illusion, mais elle était le plus proche de tout ce que je désirais, de la vie que je voulais mener.

Et puis, pendant une époque, on traînait dans les mêmes endroits. On allait dans le même bar, dans la même boîte, et souvent je m’amusais à la regarder de loin quand elle ne pouvait s’en douter. Je cultivais ces moments-là comme l’essentiel, et avec le temps, à force de l’observer, j’avais fini par l’aimer, par l’aimer réellement, comme si je la connaissais, comme si je la connaissais vraiment.

Un jour, on a fini par côtoyer quelques personnes qui se connaissaient. Alors, par hasard, alors qu’elle était avec une ou deux personnes avec qui j’avais déjà causé, je lui ai souri, un peu, et elle a répondu, un peu.
Un autre jour, en montant à la fac, en allant à pieds en ville prendre le bus, je l’ai croisée qui en attendait un elle aussi. Tout naturellement, comme si on se comportait comme cela depuis longtemps, je me suis arrêté à ses côtés, nous nous sommes fait la bise, nous avons échangé quelques mots sans grande importance, puis je l’ai laissée. Ça a été le plus beau jour de ma vie. Rien que cela, la rencontrer de temps en temps et pouvoir lui faire la bise, rien que cela me suffisait à être heureux des mois entiers. Étrange, non ? Étrange de nourrir pour elle une telle admiration.
Et alors, alors, à chaque fois alors que je la rencontrais, on se comportait ainsi. On se lâchait quelques mots, on se faisait la bise, on se faisait un petit sourire et c’était tout. J’ai jamais su si ses sourires étaient ironiques, si elle se moquait, parce qu’elle savait que je l’aimais. Je n’ai jamais voulu la juger, même si elle était de ce genre de personnnes que je n’appréciais pas trop. Non, je n’ai jamais voulu, j’ai jamais voulu y penser. Je l’aimais, ça me suffisait.
A un moment, j’ai voulu que le hasard me vienne en aide et que je puisse la rencontrer seule, qu’elle m’accorde quelques instants, qu’elle me laisse apprendre à la connaître, qu’elle se laisse apprendre à me connaître, et peut-être que l’on serait devenu amis. Tout cela m’aurait largement suffit. Je pensais qu’alors, qu’alors peut-être, elle aurait pu, même juste un peu, m’apprécier. Mais tout cela n’est jamais arrivé. Alors le reste, tu penses bien comme je m’en foutais !

J’ai fait un beau rêve ce jour-là. J’ai fait le rêve qu’elle me parlait. J’ai rêvé qu’on buvait un verre en terrasse d’un café un jour d’été. Ça m’a laissé songeur très longtemps. Ça m’a rendu heureux très longtemps. Et ça me suffisait.

 

J’irais dormir sous les ponts

C’était l’hiver, c’était l’hiver déjà bien avancé. Dehors, dans la journée, on distribuait généreusement à manger aux gens comme moi, aux gens qui avaient trop apprécié la vie, qui n’avaient jamais voulu se plier à cette putain de société, qui voulaient juste l’apprécier, comme ils le voulaient, et moi à glander.
On essayait de me réconforter, mais je me foutais de ce qu’on me disait. J’avais pas besoin de ça, j’avais pas besoin de leurs paroles de bénévoles qui ne faisaient de jour en jour et de toute façon que répéter les mêmes mots, toujours les mêmes. Je les remerciais pour les autres, parce que moi je m’en foutais, j’en avais pas besoin, j’en avais vraiment pas besoin, j’étais heureux, j’étais vraiment heureux, et ça me suffisait.

Un jour, en rentrant à mon garage, un soir, trois bouteilles dans les bras histoire de me réchauffer, j’ai rien trouvé. Une grue, un bulldozer étaient garés dans la rue. On avait écrasé le garage et puis quelques maisons. J’ai lu sur un panneau qu’on allait construire une résidence qui s’appellerait la « Résidence du pont neuf ». Ça m’a fait sourire. J’ai pensé que non loin, à une cinquantaine de mètres, au-dessus des rails, on allait sûrement construire aussi un nouveau pont. Ouais, ça m’a même fait rire.
Pourtant, c’était dommage, j’avais planqué mon sac de fringues dans le garage, sous les cartons, mais là y’avait plus rien. Alors j’ai pris une barre de métal qui traînait dans un coin, et j’ai forcé la portière du bulldozer. Je me suis installé confortablement dans son fauteuil, j’ai picolé et puis je me suis endormi.
On m’a viré du véhicule le lendemain matin évidemment, un gros baraqué qu’avait pas l’air très content. Je me suis affalé sur le sol, allongé, la gueule enfarinée, mal au crâne, mais je m’en foutais.

J’ai galéré toute la journée, marchant les mains dans les poches, traînant les pieds, recroquevillé sur moi-même pour lutter contre le froid. J’ai fait les poubelles à la recherche de quoi que ce soit pour me protéger. J’ai trouvé de vieilles fringues, une vieille couverture encore, et puis quelques cartons. J’ai fait la manche, j’ai récolté à peine trente francs, mais ça m’a suffit.

Puis, tout en marchant, tout en transportant mes pauvres biens, je me suis retrouvé le long du canal. Je l’ai regardé bizarrement, ça m’a rappelé une petite balade que j’avais faite un jour au bras d’une petite amie. Je ne me suis pas souvenu de son prénom. Je m’en foutais. J’ai longé un peu les flots calmes, puis il y eut un pont. Je me suis assis contre son armature, juste en dessous, je me suis couvert des cartons que j’avais emporté avec moi, puis j’ai débouché une bouteille. J’étais fatigué, j’étais vidé. J’avais envie de dormir, et quelque part, j’avais pas trop envie de me réveiller. J’ai tout de même fini par sombrer dans le sommeil, un sommeil peuplé de rêves d’enfance et de cauchemars étranges de vie future. Et puis j’avais eu froid pendant la nuit. J’ai tout de même dormi longtemps. Ça allait.

J’ai dormi longtemps, ouais ! Quand je me suis réveillé, la journée était déjà avancée. Ça faisait longtemps que j’avais pas autant dormis, et que je n’avais plus de montre, mais je me suis dit qu’il devait être dix ou onze heures à peu près, quelque chose comme ça. Beaucoup de voitures passaient non loin, sur les routes bordants le canal. Un petit couple arrivait aussi, marchant lentement, au loin, la fille tenant le bras du garçon. Ça m’a fait sourire, c’était la vie. Ça m’a rappelé aussi, avec beaucoup d’étonnement, qu’on était juste la veille de Noël, juste le 24 décembre. Ouais, ça m’a amusé.

Le petit couple approcha, il passa près de moi, sous le pont. Je reconnus la fille, je la connaissais bien. Elle posa juste l’espace d’une seconde son regard sur moi, son regard si profond, si troublant. Ouais, je le connaissais très bien. Et elle ne me reconnut pas.
Alors j’ai attendu qu’ils s’éloignent. Lentement, alors, lentement parce que j’avais beaucoup de mal à bouger, je me suis approché de l’eau, du canal. J’ai essayé d’y distinguer mon reflet, et à vrai dire, je ne m’y suis pas non plus reconnu.

 

Avant l’AVC

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